Le festival des livres et des arts francophones ouvre ce mardi 3 avril à Brazaville. Pour cette troisième édition, Khady Fall Diagne aux manettes de l’événement a imaginé une programmation autour de la thématique « Penser, raconter l’Afrique. L’Afrique pensée, racontée ». Parmi les invités, notons la présence de l’écrivaine Ken Bugul, de Emmanuel Dongala, des poètes Makenzy Orcel et Marc Alexandre Oho Bambe, des professeurs Théophile Obenga et Romuald Fonkoua. Rencontre avec Khady Fall Diagne, qui publie elle-même ce mois-ci, un essai tiré de sa thèse : Le marronnage comme essai d’esthétique littéraire négro-africaine contemporaine (Editions Harmattan).
L’édition 2017 portait sur « Écriture(s), histoire(s) et réel(s) ; quelles frontières ? ». Pourquoi avoir choisi cette année une thématique autour de « Penser l’Afrique » qui fait bien sûr écho aux Ateliers de la pensée à Dakar et à l’ouvrage collectif paru l’année dernière dirigé par Felwine Sarr et Achille Mbembe.
Depuis quelques temps une vague traverse le milieu intellectuel : penser, écrire l’Afrique. Il me semblait intéressant au sein de cet événement de nous inscrire dans ce débat de la pensée.
Mais la force de notre événement est d’être entièrement tourné vers la jeunesse dans un territoire, le Congo, où la culture et la littérature sont en déshérence. Nous avons donc voulu regrouper sur une semaine des acteurs de cette pensée mais qui ont cette qualité de diffuser, de vulgariser le discours parfois trop hermétique de l’universitaire. D’où une programmation jeune, artistique, moins axée sur l’épistémologie.
Justement comment s’est fait le choix des artistes / auteur-es présents pour ce festival ? Nous y trouvons des poètes, romanciers -ères mais aussi des professeurs d’université à l’instar du spécialiste des écrits de Cheick Anta Diop, Théophile Obenga.
Nous avons travaillé par panel avec une vision à la fois historique et culturelle de cette construction de la pensée. Poser un regard sur ce concept d’Afrique n’est pas aisé en soi. Les regards croisés nous semblaient importants.
Nous avons invité Théophile Obenga pour la vision panafricaniste développée par Cheikh Anta Diop, avec en face de lui, dans un dialogue Romuald Fonkoua autour de la présence noire sous la colonisation, des précurseurs de la négritude et de l’importance de l’œuvre de Alioune Diop dans ce combat pour la pensée négro-africaine.
Nous abordons aussi cette Afrique des femmes et leur place dans le combat pour les idées. Il sera question de fémininisme mais aussi de la réalité de l’apport de la femme intellectuelle de Mariama Bâ à Fatou Diome ou Léonora Miano. Ken Bugul aura cette parole de la femme écrivaine et en face d’elle de grands nom de l’activisme social et politique de Brazzaville.
On évoquera aussi cette Afrique diasporique, conséquence de la traite et des migrations. De la complexité de cette identité transatlantique faite de confluences et d’influences. François Durpaire et Makenzy Orcel dialogueront sur cette Afrique diasporique des Amériques.
Emmanuel Dongala est a la fois un monument de la littérature et le témoignage de cet « Atlantique noir » littéraire qui n’est plus confiné aux histoires africaines sur le continent. Capitaine Alexandre vient de publier aussi son premier roman Dien Bien Phu, qui se passe entre le Vietnam, le Sénégal et la France dans la peau d’un ancien soldat français de l’armée coloniale. Il s’agit donc de souligner la vitalité de ces créations qui dépassent les frontières littéraires esthétiques. On ne se cantonne pas à seul genre ni à des sujets pré établis. Il s’agit de brouiller ces codes de lecture dictées par une certaine critique qui cantonnerait l’écrivain noir ou africain à des questions purement africaines. Sortir de l’enclavement et de la périphérie.
Bref ce festival a pour objectif de souligner le dynamisme d’une Afrique diasporique désinhibée et débarrassée de projections stéréotypées. La réponse à ces résistances tropiques qui construisent l’altérité sur des perceptions réductrices : un bouillonnement , un dynamisme, une créativité. Voilà l’avenir de l’Afrique.
Vous disiez précédemment que votre préoccupation se porte sur la jeunesse, et l’accès à la littérature. C’est à dire ?
Mon ambition est de parler à la jeunesse africaine, que ce soit un festival dans et hors les murs. À l’Institut français et dans les lycées et universités de Brazzaville. Nous allons vers les jeunes.
Je suis enseignante détachée de l’éducation nationale française, missionnée pour l’action éducative et culturelle. J’ai une mission d’enseignante , de conseillère pédagogique auprès des enseignants aussi bien congolais qu’expatriés. Et à ce titre, je pilote des actions portées parfois par l’Institut français, tel que ce festival que j’ai créé et qui existait déjà à Lille dans mon ancienne vie d’il y’a trois ans.
Vous êtes une passionnée de littérature, si vous deviez citer quelques livres fondateurs pour vous, quels seraient-ils ?
L’ Œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Le Lys et le Flamboyant de Henri Lopès. Et aussi Journal d’un écrivain en pyjama de Dany Laferrière et Inassouvies nos vies de Fatou Diome