EcrivainBien que le même vocable désigne à la
fois Pavarotti et Johnny Halliday, on peut légitimement penser qu’il y a un
delta entre la tessiture du premier et l’anomalie acoustique du second. À l’écrit, c’est pareil.Ecriture s’entend d’un niveau autre que
la lettre au Père Noël, même si l’on peut gager un billet sans risque sur celle
de l’enfant Péguy Charles qui sera plus élégante que la missive du petit Levy
Marc et pas non plus celui de la rédaction de la liste de courses de la ménagère
de moins de cinquante ans gribouillée entre le Lidl, la chambre louée à l’heure
de "La Cage aux Rossignols" et la sortie des écoles du petit dernier.Ici nous parlerons du versant noble de
l’écriture. Celle qui va du calame au clavier, de l’incunable au
prix Goncourt.Là, il s’agit d’être propre, tel un lord
anglais qui s’habille pour dîner dans la brousse avec le même dress code que
pour convaincre le vigile à l’entrée de Buckingham. Soignez l’orthographe, la syntaxe, la
ponctuation, la concordance des temps, les accords de participe et le
vocabulaire. Pour le récit, le passé simple s’imposera et la
troisième personne sera préférable (de lapin).Avant de poursuivre sur le style, on
peut d’ores et déjà tirer quelques observations de cet exemple :La syntaxe compliquée de la seconde
phrase. Il eût mieux valu écrire :
"... même si l’on peut gager que celle de l’enfant Péguy Charles
sera plus élégante que la missive du petit Levy Marc ... " Adroitement,
l’auteur a usé du synonyme "missive" pour éviter la répétition
de "celle" suivant le pronom relatif "que" et la
figure stylistique du prénom derrière le nom incite le lecteur à se projeter au
temps scolaire du rite matinal de l’appel par ordre alphabétique. L’auteur
maladroit rate son objectif sur l’allusion au poker avec son disgracieux:
"gager un billet sans risque" mais démontre de l’habileté sur
l’évocation de "l’appel" par le patronyme.Inégal, donc mais cela permet
d’aborder la partie subjective : le style. Chaque auteur en possède un, à charge pour
lui de n’en pas abuser au risque de passer de la singularité à
l’excentricité. "Un style, c’est une obsession" dit Frédéric
Beigbeder. Au passage, une citation d’auteur est un code qui doit
orienter votre lecteur, pas une indication sur votre culture, inutile sauf pour
votre ego, contre-productive pour la compréhension de votre narration. De la
même façon, l’étalage des mots compliqués ne doit pas perdre votre lecteur. Il
n’est pas censé lire votre CV. En place de "calame" écrivez
"plume" et remplacez "incunable" par
"bible". Votre lecteur ferait l’effort de
chercher ce qu’un auteur reconnu a voulu lui transmettre mais
ne comptez pas sur sa curiosité si vous êtes un inconnu célèbre seulement par
votre nom sur une boîte à lettres dans votre entrée d’immeuble. Si l’évocation
de "La Cage aux Rossignols" vous procure un frisson ému dans la
moelle épinière, il n’évoquera rien de cette délicieuse attente dans le couloir
pendant que la femme de chambre change les draps entre deux services avec votre
conquête rougissante pendant cette romantique opération, s’il n’est pas voisin
de l’avenue Thiers et trentenaire. De toutes façons vous avez perdu votre
lectrice étalée et confuse trébuchant sur ce déplorable calembour du râble de
lapin et il est trop tard pour vous dire de ne pas faire le malin avec les
anglicismes car, chutant comme elle, vous pourriez tomber sur une
anglophone.Profitez de la magie de l’écriture en
vous donnant le beau rôle et, sans hésitation, signez votre polar
Ikéa: Sergius H. Pradowson, en jouant la carte de l’écrivain mystérieux. Vous gagnerez en crédibilité et vous pourrez
compter sur le snobisme du naïf convaincu de découvrir un auteur exotique et de
le partager avec ses semblables.En concluant sur le sujet du pseudo,
votre lecteur aura l’impression de résoudre une énigme, celle de cette
curiosité du début : l’angle d’attaque par le pseudo et la chanson pour
arriver à … l’écriture.