Dans le désert de l’Arizona avec Haylen Beck

Par Samy20002000fr

Si Stuart Neville s’est fait connaître en écrivant des romans policiers qui ont pour décor l’Irlande du Nord, c’est sous le pseudonyme d’Haylen Beck qu’il a choisi d’écrire son dernier roman : Silver Water. C’est ce nouveau thriller, publié aux éditions HarperCollins Noir, qu’il est venu présenter à une trentaine de lecteurs sélectionnés pour l’occasion, le vendredi 16 mars dernier.

En plus d’un nouveau nom de plume, c’est aussi un voyage outre-Atlantique que nous propose l’auteur irlandais : direction l’Arizona aux Etats-Unis, où l’on suit une mère de famille, Audra, qui fuit son mari et est accusée d’avoir fait disparaître ses enfants.

Des lacs irlandais aux déserts de l’Arizona

C’est d’abord la question du lieu qui a intéressé les lecteurs. Pourquoi l’auteur a-t-il choisi de situer son intrigue dans le désert de l’Arizona, lui qui était jusqu’ici un habitué des terres irlandaises, et comment lui est venue cette idée de thriller aux Etats-Unis ? “Ce sont les paysages du sud des États-Unis qui m’ont donné l’idée du livre. J’avais une idée d’intrigue et je savais que ça devait se passer dans la nature, mais s’il y a une chose qu’on n’a pas en Irlande, c’est la nature sauvage et le désert : c’était nécessaire de transposer l’intrigue dans un autre environnement. J’avais déjà fait plusieurs voyages en Arizona, où j’avais été témoin de l’aridité et de la sécheresse des grands déserts de l’état. C’était sans aucun doute le cadre idéal pour ce nouveau roman. J’ai laissé de côté l’idée du livre pendant un an, mais je l’ai reprise lors d’un road-trip que j’ai fait de Phoenix à Flagstaff, pendant lequel j’ai pris des notes et des photos. Puis je suis rentré, et c’est là que j’ai commencé à écrire le livre.”

De retour en Irlande, l’auteur s’est alors nourri de son expérience en Arizona pour donner à son intrigue un décor aussi vrai de nature : La notion d’authenticité est cruciale pour moi : j’ai voulu faire ressentir les impressions du lieu dans lequel se trouvent les personnages. En ce qui concerne l’ambiance, j’ai voulu retranscrire la chaleur caniculaire des 45° et rendre compte de l’aridité et de la sécheresse de l’Arizona. J’ai traduit ça par des petits détails : par exemple dans la scène d’ouverture, lorsqu’Audra est dans sa voiture, l’intérieur est frais mais si elle touche le pare-brise, elle se brûle.”

Haylen Beck a pourtant souhaité tenir son roman à l’écart du documentaire en inventant une ville fictive, Silver Water, qui serait un condensé des villes traversées lors de son road-trip en Arizona : “Je ne pouvais pas inscrire l’intrigue dans une ville réelle car l’un de mes personnages est le shérif de la ville : je n’en ai pas fait un portrait très reluisant, et je ne voulais pas m’attirer d’ennuis. Mais je me suis inspiré des villes que j’ai visitées lors de mon road-trip qui, à l’instar de Silver Water, sont des petites villes dans des cuvettes, à l’écart des routes principales et à côté de mines de cuivre : les décors sont semblables.”

Capter l’atmosphère d’un lieu

Ayant le sentiment d’être dans une Amérique profonde et peu hospitalière, notamment pour les étrangers, les lecteurs ont alors interrogé l’auteur sur la vision des États-Unis qu’il souhaitait montrer : “Plutôt que de regarder des documentaires, j’ai fait le choix de me rendre sur place pour capter l’atmosphère du lieu. Ce qui m’a frappé pendant ma visite, c’est le sentiment d’isolement, les routes en terre et les maisons préfabriquées qui tombaient en ruine. Ça se traduit par un repli sur soi et par le fait de défendre les siens plutôt que de s’inscrire dans une communauté plus large.”

Le contexte social ambiant aux États-Unis et les paysages de l’Arizona semblaient en réalité être un terreau propice pour mettre en scène l’histoire d’Audra : “Il me semble propre aux petites villes que les gens qui viennent de l’extérieur sont considérés comme des étrangers. Je voulais donner à mon héroïne le sentiment d’être une outsider. Elle vient de New York, pour elle les paysages de l’Arizona lui sont inédits et inconnus, comme pour moi qui viens d’Irlande.”

Haylen Beck se défend toutefois d’avoir voulu montrer une image inhospitalière des États-Unis et d’en avoir fait la critique : “Ce n’était pas mon intention, mais on la devine entre les lignes. Je ne voulais pas être désobligeant ni désagréable envers les américains : je sais que la population n’est pas uniforme, d’autant plus que je viens d’un pays qui a baigné dans la violence pendant 10 ans.”

Des personnages avec du relief

La violence, du kidnapping au dark web en passant par la relation abusive d’Audra et de son ex-compagnon, l’auteur a pourtant veillé à ne pas trop la mettre en scène dans son roman : “Même si le livre parle d’un kidnapping d’enfant, je savais dès que j’ai commencé l’écriture que j’allais me mettre des limites : je ne veux pas écrire des choses que je ne veux pas vivre. Je ne voulais pas écrire une histoire sadique ni cruelle, je voulais au contraire épargner au lecteur une lecture difficile.”

Il a préféré se concentrer davantage sur les caractères de ses personnages : “Je mets les personnages dans l’histoire pour voir comment ils réagissent. On apprend à les connaître quand on les voit se battre contre les événements. Il y a alors un balancier entre les personnages et l’intrigue : ils sont intimement liés et deviennent interdépendants.

Haylen Beck s’est alors exprimé à propos de ses personnage principaux, expliquant chacun de leur rôle : “Je voulais qu’on ait un maximum de compassion pour Audra et qu’on comprenne pourquoi elle fait ce qu’elle fait” explique-t-il à propos de son personnage principal, avant de poursuivre sur le personnage du shérif : “Je suis fasciné par le pouvoir que peut exercer un shérif dans une petite ville, surtout s’il a de mauvaises intentions, et les répercussions que cela peut avoir. Mais j’ai quand même fait attention au fait d’en faire un personnage humain, en 3D et pas unidirectionnel.”

Enfin, Danny Lee, un personnage qui a vécu une situation similaire à celle d’Audra et qui lui vient en aide, a quant à lui particulièrement retenu l’attention des lecteurs. L’auteur s’est expliqué sur les contraintes liées à ce personnage : “J’ai voulu donner à Danny Lee une histoire et un passé aussi différents que possible de ceux de l’héroïne, c’est pour ça que c’est un asiatique originaire du Chinatown de San Francisco, et qui a un lien avec les gangs. C’est un personnage qui m’est très éloigné, il me fallait donc un référent. C’est pour cela que j’ai fait appel à Henry Chang, un auteur de polar new-yorkais. J’ai beaucoup parlé du personnage avec lui, il m’a aidé à comprendre les fondements culturels de cette communauté pour donner plus d’authenticité à mon livre.” Il s’est également confié sur son affection pour le personnage : J’ai pris beaucoup de plaisir à créer ce personnage. On me demande régulièrement s’il va revenir : je ne m’interdis pas cette possibilité, il a le potentiel d’un personnage récurrent. Silver Water a été pensé, écrit et conçu comme un roman indépendant, mais j’y ai laissé quelques outils pour faire revenir Danny Lee.”

Écrire sous couverture

Faire revenir Danny Lee : cela signifie-t-il qu’Haylen Beck sera de retour ? se sont alors demandé les lecteurs. Comment l’auteur irlandais compte-t-il faire cohabiter ses deux identités, et jongler entre ses romans irlandais et ceux écrits sous pseudonyme ? J’ai pour projet d’alterner ces deux types de roman au rythme d’un sur deux : cela me permettra d’éviter de m’ennuyer et me donnera l’occasion de prendre le large. Sous le nom de Stuart Neville, les romans continueront de se passer en Irlande, mais tous les livres écrits sous le nom d’Haylen Beck seront des thrillers qui se passeront aux Etats-Unis, indépendants les uns des autres : cela me laisse la liberté de me concentrer sur l’histoire et d’aller où je veux aux Etats-Unis : le prochain roman se déroulera d’ailleurs à Pittsburgh (Pennsylvanie).”

L’auteur s’est alors confié sur la conception de Silver Water et sur les avantages d’écrire sous pseudonyme : “J’ai écrit Silver Water sans être sous contrat : c’était une surprise pour mon agent comme pour mon éditeur. Ça m’a permis de jouir de plus de liberté car personne n’attendait rien de moi : l’écriture était plus facile. C’était également un changement stylistique dans la mesure où je me lançais dans un roman plus grand public, alors que les précédents étaient plus sombres et tenaient plus du roman noir. ”

Rebondissant sur les différentes sous-catégories de romans policiers, Haylen Beck s’est confié sur les deux oeuvres qui l’ont influencé lors de l’écriture de Silver Water : “Je peux citer deux influences pour ce roman : la première, c’est le livre de Jim Thompson : Le Démon dans ma peau, qui m’a inspiré pour donner le rôle de méchant au shérif. La seconde, je ne peux la citer que rétrospectivement, mais plusieurs mois après l’écriture du livre, j’ai revu La Nuit du chasseur de Charles Laughton, et j’ai réalisé à quel point ce film m’avait influencé. Je pense notamment à deux scènes : lorsque les enfants sont dans la cave, et lorsque la fillette tient sa peluche. Avec du recul, c’est impossible de le nier.”

Enfin, la rencontre s’est achevée sur une question sur la fonction du polar : a-t-il pour objectif de rendre justice ? “Cette question me rappelle une citation : “dans notre prochaine vie on bénéficie de la justice, et dans celle-ci de la loi.” La loi est différente de la justice, on lit souvent des histoires de sentences très légères par rapport au crime commis. En Irlande du Nord notamment, on trouve plein de gens libres, voire à des positions de pouvoir, alors qu’ils ont commis des crimes. Dans la vie, la justice n’est pas très courante : elle est sublimée par le livre.”

C’est sur la musique de deux groupes chers à l’auteur, qui ont d’ailleurs inspiré l’auteur dans le choix de son pseudonyme, que s’est terminée la rencontre. Serez-vous capables de les deviner ?

Retrouvez Silver Water d’Haylen Beck, aux éditions HarperCollins Noir.