.48.
Îles vagues dans le brouillard. à l'ouest une baie. des étangs dans la lande. brebis et béliers-lyres au versant des coteaux. VÀGAR ! leur cœur se serre. tant de merveilles assombries.
Aller en titubant, les yeux fermés. nostalgie sans rémission. la beauté enivre. la pluie bat la vitre du Kristianshùs. bière rousse, carnet raturé. des mots épris d'ailleurs. soyons grands par la patience.
Ils creusent des bains. 40 jours et plus dans leurs robes puantes. taillent leurs barbes. rapiècent caleçons et chemises. un feu de bruyères sur la plage. truites. agneaux des prés salés. orties et cressons.
Des orages passent en nuée. des escarbilles dans le vent. ils tirent l'Hibernia sur la pente. une chambre basse dans la montagne. l'enfant les rejoint, l'enfant au chien rouge. frêle amitié qui adoucit la terre.
L'hiver les ensevelit. psaumes, songes, dévotions. et des courses dans la neige — la mollesse corrompt. collines nues, étincelantes. impitoyable grammaire, conserve-nous un peu de cette beauté sévère.
L'année revient sur elle-même. landes et prairies brodées au petit point. et la lune d'équinoxe. Brendan montre la mer. au large un monolithe, noir comme la suie.
.50.
Hautes falaises vibrant dans la brume comme un orgue
qui prétend que le nord est stérile ? une VILLE D’OISEAUX
au fond d'une baie une prairie oblique MyKines-Bygd
20 maisons coiffées d'herbe ou de tôle un temple un phare au loin
qu'ai-je cru trouver ici sentiment si tôt éventé
le soir face à la mer latinant dans la lumière émiettée solitaire
je les imagine l'un à son désir l'autre à sa mélancolie
regrettant l'est ou l'ouest se querellant
un bruissement confus d'ailes et de cris ki kiii ki kiii
toutes les passions violemment débridées
sondant le monde vierge de la langue et des ailes kiti-ouèk
semblables et multiples libres dans leur nécessité
plus que nous ne savons l'être
.L'URNE.
Brendan. de lui à nous, quel legs ? la vertu ou l'égarement ? quel au-delà des actions qui nous justifiera ? lui, à le briguer résolument ; nous, à le chercher à tâtons. quel présent est enfoui dans le très-ancien ? quelle leçon ? qu'ai-je dit là-dessus à la radio de la chambre 108 ? à fuir le siècle, ai-je oublié mon devoir ? Brendan sur l'Hibernia plutôt que le mollah Omar sur sa bécane ou les forcenés d'Edgware Road — et tant d'autres depuis ?
Ce saint vagabond qui s'échappe et nous défie, qu'en auraient dit nos maîtres ? le vieillard orgueilleux de la Calle Querini, enfermé dans son mutisme, dédaigneux des leurres de l'après-guerre ? le crucifié de la plage d'Ostie ? et l'autre vagabond, déchiré par l'absolu — Une saison en paradis, comment ? trop vieux, trop étranger. on ne peut pas. attaquer le Voyage à la hache. tailler. déchiqueter. réduire le livre à une charpie.
Mieux. après 7 ans à peiner sur mes pages, l'Atlantique sillonné en tous sens. en vérité un peu, en cartes le reste, et en mensonges. autant d'aventures qu'on est peuplé d'affections diverses. 7 versions d'affilée. puis tout brûler. 7 liasses charbonneuses. pelures agglomérées, cendres. les enfermer dans une urne et graver sur le marbre, en belles romaines : L'ULTIME THULÉ. ce serait toute l’œuvre. n'aurais-je pas tout dit ?
Gérard Cartier, L’ultime Thulé, Flammarion, 2018, 180 p., 18€, pp. 81, 83 et 119.
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