Le 22 mars...
À la vérité, il est impossible de prédire avec exactitude ce qui se produira dans les semaines à venir, à la SNCF comme ailleurs. Les raisons ne manquent pas de croire que quelque chose d’important peut se profiler.
Sans surprise, Emmanuel Macron a donc répliqué à sa manière aux grandes mobilisations du 22 mars pour la défense des services publics et de la SNCF, expliquant, lors d’un déplacement à Bruxelles, que les mouvements sociaux n’avaient pas d’«impact» sur les «réformes en cours». Beaucoup diront qu’« il est dans son rôle » ; d’autres qu’il montre une « évidente arrogance » à balayer si vite ce qui, pour lui, devient un problème majeur. Officiellement, l’exécutif «reste attentif à un effet de contagion», si l’on en croit un conseiller de l’Élysée. Officieusement, tout est mis en œuvre pour éviter une «convergence des luttes». Raison pour laquelle l’opinion est travaillée au moral, quitte à opposer les usagers aux citoyens – tiens, ce ne sont pas les mêmes? – et à expliquer, ou à faire expliquer par la cohorte d’«experts» en tout genre qui trustent les médias, que les grèves et les manifestations à venir sont évidemment vouées à l’échec, et que, bien sûr, «2018 n’est pas 1995» et encore moins un certain «mois de mai»…comme s’il s’agissait de comparer ce qui ne saurait l’être!
À la vérité, il est impossible de prédire avec exactitude ce qui se produira dans les semaines à venir, à la SNCF comme ailleurs. Ce que nous savons, en revanche, c’est que le matraquage idéologique va se poursuivre, massivement, jusqu’à l’énumération sans fin de contrevérités, à savoir que la «modernité» et le «changement» seraient du côté des gouvernants et des patrons, et que «l’archaïsme» et «l’inertie» se trouveraient du côté du peuple, des syndicats et même des intellectuels critiques… Invitons néanmoins les commentateurs zélés de la propagande ordinaire à la prudence. Car les raisons ne manquent pas de croire que quelque chose d’important peut se profiler. La conscience de l’enjeu – colossal pour l’à-venir – en est le ressort essentiel. D’autant qu’il s’agit d’une bataille culturelle autant que sociale: celle des services publics. La bataille s’annonce longue, certes. Mais elle doit être l’occasion d’un large et vrai débat qui déconstruise point par point les arguments fallacieux du gouvernement et du patronat. Ce qui se joue, c’est la destruction par la noblesse d’État de notre «civilisation» sociale, comme le disait Pierre Bourdieu... en 1995.
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 26 mars 2018.]