Le “big bang” de la formation professionnelle ouvre-t-il un espoir pour tous ceux qui n’ont pas ou plus d’emploi ? L’appétit de nos dirigeants à épuiser le vocabulaire du changement (révolution, transformation, big bang…) est sans égal. Alors même que le changement initié est souvent fort modeste.
Revenons toutefois à la réforme à proprement parler. Symboliquement, en octroyant la collecte des cotisations à l’Urssaf, l’Etat signifie aux OPCA leur inefficacité et certainement leur disparition. Il passe aussi le message aux branches qu’elles ne sont plus incontournables pour définir les besoins de formation.
L’Etat reprend donc la main. L’agence quadripartite “France Compétences” validera les formations et évaluera les prix. Une nouvelle instance hors-sol et bureaucratique ? Les craintes sont légitimes. En parallèle, et de façon surprenante, la réforme semble vouloir s’appuyer sur la logique de marché. Nous, salariés, demandeurs d’emploi, devenons libres de choisir notre formation continue ou professionnelle. En créditant en euros le CPF jusque-là peu utilisé, on nous offre une liberté inédite de gérer notre carrière professionnelle. Une liberté toutefois théorique si on ne devait s’appuyer que sur ledit CPF. En 10 ans, le capital serait de 5000€. Or, le moindre CQP dans l’industrie coûte 6500€, le titre d’aide-soignante 5000€, 3000€ pour être ambulancier, ou 1000 à 1200€ pour un simple Caces. Je ne parle évidemment pas ici d’un diplôme universitaire inaccessible avec ces budgets. Quel nouveau métier peut-on apprendre avec un si petit budget, telle est au final la question centrale ?
Dès lors, quel sont donc les objectifs de ces changements ? Ici se situe l’occasion manquée. L’enjeu est évoqué : la compétitivité de la France, par une main d’œuvre formée, adaptable aux contraintes de la mondialisation. Mais l’instrument est court et bancal et on compte sur la com — “le monde change, changeons de paradigme” — pour masquer sa faiblesse.
Rien dans cette réforme ni dans l’accord entre les partenaires sociaux (ANI — Accord National Interprofessionnel) ne concerne la formation de 6 millions de chômeurs peu ou pas qualifiés ; à l’exception d’une référence à un PIC (Plan d’Investissement dans les compétences annoncé en septembre 2017 et oublié depuis). Or, l’élévation du niveau de compétence moyen de la main d’œuvre française est évidemment au cœur de son organisation économique.
L’actuel système permet à moins de 10% des chômeurs d’accéder à une formation, et seuls les cadres disposaient d’une capacité réelle à se former (sans d’ailleurs vraiment l’utiliser). Rien n’indique que demain il puisse en être autrement.
Il eut été nécessaire de faire table rase et de repenser la formation continue avec les contraintes contemporaines. Nos dirigeants ont simplement changé le décor.
Eric LAFOND (LIBR’ACTEURS)