Le Koutammakou est la région du Togo et du Bénin, en Afrique de l'Ouest, qui abrite les Batammariba. Cette région est inscrite, depuis 2004, au patrimoine mondial de l'UNESCO.
De ce qui était d'abord une fluidité des frontières et constitution de « collectifs »englobant humains et non humains ,l'évolutionnisme occidental a fait péjorativement une sorte de religiosité primitive. Pourtant l'objet « animisme » ne correspond à aucune réalité religieuse se revendiquant comme telle. Il n'est qu'un objet créé historiquement par l'occident pour distinguer des croyances et des pratiques n'entrant pas dans le modèle des religions dites universalistes , les trois religions du livre surtout .
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On a ainsi beaucoup glosé sur l'animisme ; comme symbole de l'archaïsme des sociétés traditionnelles qui le pratiquaient. Dans une vision évolutionniste linéaire, on l'a situé dans un stade infantile de l'humanité. Le premier théoricien en fut Edward Burnett Taylor dans « Primitive Culture »(1871) pour qui les « primitifs » peupleraient les êtres et des choses « d'Âmes » .Ce serait le stade premier de la religiosité suivi par le fétichisme , le poly puis le monothéisme ,chaque étape étant conçue comme un progrès de la spiritualité et de la civilisation. L'animisme, en outre, ajouterait au monde quantité d'entités intermédiaires, quoique invisibles, objets des cultes et des rites, « ancêtres, esprits de la nature, génies , vodun etc, et serait lié à l'existence de médiateurs , devins et guérisseurs, par exemple les Nganga d'une partie de l'Afrique et bien sur les Chamans très présents chez les peuples sibériens, asiatiques, et amérindiens (on en discute l'existence en Afrique) )et chez les peuples de l'Arctique ,Inuit et Sâmes. A noter qu'animistes et chamans furent férocement combattus par les missionnaires chrétiens qui y voyaient des « diableries » et des cultes sataniques.
Pourtant tout un courant de la pensée contemporaine revisite aujourd'hui l'animisme , comme fournissant des cadres de pensée à une écologie « profonde » qui va beaucoup plus loin que la simple défense de l'environnement. il s'agit comme l'a dit Pierre Montebello (Métaphysiques Cosmophores), « de retisser les multiples fils coupés, de la matière à la vie, des vivants aux hommes, des choses aux hybrides, en s'écriant d'une seule voix « fidélité à la Terre », au repeuplement de la terre. Vaste chantier. » Donner voix à la pluralité des êtres, et dire comment ils sont nécessairement apparentés. Réhabiliter des mondes de connaissances centrées sur l'altérité comme l'intuition, la sympathie, la participation, la résonance, la relation. : « Où l'homme n'a plus le statut d'exception mais entre en résonance avec les figures autres, dans une secrète parenté avec le monde. »
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Si ce courant est surtout anglo-saxon (Graham Harvey, David Abram, Nurit Bird- David ou Donna Haraway ), et peu traduit chez nous, il ne faudrait pas oublier toute l'œuvre de Jean Malaurie qui en eut la « prescience », (ce qu'illustre sa préface du livre)au point de gagner, chez ses compagnons Inuit, le nom de « celui qui parlait avec les pierres » .Des ouvrages de la collection Terre Humaine ,outre ceux de Jean Malaurie ,lui-même , en témoignent : Le Souffle Du Mort de Dominique Sewane, de Mémoire Indienne où parle le shaman sioux Tahca Uhste, la Chute Du Ciel avec Davi Kopenawa, shaman Yanomani ,sans oublier Les Lances Du Crépuscule de Philippe Descola , qui a revalorisé, dans notre culture, cette pensée animiste et « l'écologie des autres » ; ou encore jacques Brosse et ses Mémoires D'un Naturaliste Zen.
« Koutammakou, Lieux Sacrés », participe de ce courant de pensée avec le mérite supplémentaire d'être le fait d'auteurs africains qui font revivre leurs racines , en montrant l'actualité pour une culture occidentale, en mal de repères ,à l'heure de l'Anthropocène. Grace à eux nous comprenons mieux la pensée animiste ,loin des préjugés historiques qui ont eu cours dans notre histoire coloniale : le regard animiste s'avère plus proche de l'expérience vivante du non humain, alors que nous l'avons conçu comme une conception irrationnelle d'une nature peuplée d'esprits malveillants. L'immersion dans cette culture « autre » nous fait retrouver une relation perdue avec le non humain, le vent ,l'herbe , les roches ou la forêt, expériences pendant laquelle le sentiment de dichotomie entre l'homme et son environnement se dissout totalement dans la perception d'un tout ; la « Terre parle » . Elle n'est plus ainsi pas un simple sol, confondu avec un décor extérieur, mais un terrain mouvant, multiple et intime. Elle est aussi bien l'air que nous respirons, ce souffle à la composition duquel tous les êtres (roches, plantes, marais, mammifères…) contribuent, chacun actif à sa manière dans un « pluralisme radical et irréductible ». L'animisme peuplait le monde d'Ames, a-t-on dit, mais c'est oublier que le mot a un autre sens dans les sociétés traditionnelles, un sens que nous avons oublié ,quoique présent dans l'étymologie du mot :Ame d'abord le souffle vital, l'énergie qui irrigue à la manière du sang ,les êtres et les choses.
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La signification profonde de l'animisme est de nous rappeler, qu'avant le monde des constructions intellectuelles et de la raison, avant la culture de notre intériorité individualiste, notre monde primordial est celui de la vie : un champ commun où elle s'entrelace avec d'autres vies ,humaines bien sûr mais aussi animales et végétales ; ce champ commun constitue l'ensemble de ce que nous appelons nature et qui n'est donc pas simplement physico- chimique. Et jean Malaurie de rappeler la question de Goethe : « qu'est ce que commercer avec la nature ? »… . « En scrutant les canalicules de la pierre, à l'œil puis à la loupe, en portant les pierres jusqu'à mon oreille, comme pour entrer physiologiquement dans leur univers, en dressant la carte en 1951, en peignant avec mes craies des pastels de la nuit polaire en 1967, j'ai cru percevoir des ondes sonores, des forces vives incluses ».
L'homme peut et doit s'accomplir dans une observation participante et aussi intime que possible avec la nature. En ce sens, la perception, activité concertée de tous les sens du corps, est un "accordage" ou une synchronisation entre mes propres rythmes et les rythmes des choses elles-mêmes, leurs tonalités propres, leurs textures. Animistes ! nous ne sommes pas si différent de l'araignée attentive aux moindres vibrations de sa toile.« comme une araignée fait avec ses fils, chaque sujet file ses relations en propriétes déterminées des choses et les entretisse en une solide toile qui porte son existence » écrit Von Uexküll dans Milieu Animal Et Milieu Humain
LES BATAMMARIBA :
Sans doute à l'origine éleveurs semi-nomades, les Batâmmariba, se seraient installés par vagues successives entre le XVIe et le XIXe siècle dans le massif et la vallée de l'Atakora, au nord du Bénin et du Togo, zone refuge pour de petites sociétés sans chefferie centralisée et fuyant l'emprise des grands royaumes, notamment Mossi et Mampursi de l'actuel Burkina Faso. Appelés Somba au Bénin, où ils sont les plus nombreux (250000 habitants), Tamberma au Togo (environ 20000 habitants), ils forment une société clanique d'éleveurs agriculteurs. Les Batâmmariba se définissent par l'acte d'édifier des forteresses ou TAKYIENTA, à l'architecture raffinée. D'où leur nom Batâmmariba, (au singulier, Otâmmari) qui signifie « Ceux Qui Malaxent La Peau Fine De La Terre ». Reste pourtant énigmatique le lieu de leur origine, Dinaba, « situé vers le nord», qu'ils se refusent à divulguer
Le territoire villageois des Somba et Tamberma est complexe à définir, tant ses limites matérielles et immatérielles sont entremêlées. Il comprend ses habitations, ses champs, ses puits, sa fontaine ses cimetières claniques, son sanctuaire initiatique et ses lieux sacrés. Il n'a pas de limites fixes ni matérialisées. Le village est d'abord le lieu où se déroulent les activités quotidiennes , dont les plus importantes sont celles qui sont en rapport avec la production et la cohésion sociale du groupe. Ce sont en l'occurrence les travaux collectifs de construction, les activités agricoles, les fêtes et les cérémonies rituelles. Les habitants y sont en général unis par des liens qu'ils qualifient eux-mêmes de familiaux, car ils descendent d'un même ancêtre. Le village est considéré à ce titre comme le lieu par excellence où l'individu peut vivre et évoluer. Il est également le cadre de tout le système de valeurs propres à la société. S'en éloigner revient à s'éloigne
Le territoire villageois comporte des "lieux sacrés" considérés comme le domaine réservé des « esprits », essentiels dans le système de représentation. Ils peuvent être situés dans le village, mais aussi en périphérie. Dans la pratique, la périphérie correspond à des espaces physiques, invisibles depuis l'habitation. Ces espaces regroupent principalement les terres de culture et aussi les réserves foncières villageoises. Les lieux sacrés qui s'y trouvent sont facilement reconnaissables dans les champs. Ils se présentent comme des îlots de végétation sauvage qui ont été épargnés par les cultures.
DOSSIER DE PRESSE :
LES AUTEURS DU LIVRE.
BANTEE N'KOUÉ, habitant du canton de Warengo (Koutammakou, Togo), est un Otammari par excellence, spécialiste de la construction des takyenta, habitat traditionnel des Batammariba. Dès 1980, il fut le traducteur interprète de Dominique Sewane pendant ses diverses missions.
BAKOUKALÉBÉ KPAKOU, habitant du canton de Nadoba (Koutammakou, Togo), est historien, diplômé de l'université de Kara, auteur d'un remarquable mémoire de maîtrise retraçant l'histoire de Koutougou, l'un des trois cantons du Koutammakou au Togo.
DOMINIQUE SEWANE (texte préliminaire de présentation), anthropologue, accueillie chez les Batammariba dès 1980, dont elle a étudié la vie cérémonielle, a contribué en 2008 au programme favorisant la transmission de leurs savoirs. Elle est titulaire de la chaire Unesco « Rayonnement de la pensée africaine - Préservation du patrimoine culturel africain
JEAN MALAURIE (préface), géomorphologue et ethnohistorien de renommée internationale, spécialiste du Grand Nord inuit et sibérien, est — entre autre — Ambassadeur de Bonne Volonté à l'Unesco pour les régions arctiques. Il est fondateur de la prestigieuse collection Terre Humaine aux éditions Pion, auteur de nombreux ouvrages de référence sur les Inuit du nord du Groenland, président d'honneur de l'Académie des peuples autochtones à Saint-Pétersbourg.
MARCUS BONI TEIGÀ (postface), originaire de Tanguiéta, dans le nord du Bénin, est journaliste, cofondateur du magazine panafricain en ligne Courrier des Afriques, écrivain, et historien spécialiste de la Nubie.
JACQUES HESSE, éditeur, a découvert le Koutammakou en 2011 et rencontré fortuitement Bantéé N'Koué à Warengo en 2013, rencontre qui a donné naissance à cet ouvrage. Les Éditions Hesse ont publié Koutammarikou — Portraits somba — Nord Bénin de Marie et Philippe Fluet (2012).
EXTRAITS DU DOSSIER DE PRESSE :
Tels des explorateurs, BANTÉÉ N'KOUÉ et BAKOUKALÉBÉ KPAKOU, Togolais originaires du Koutammakou, situé au nord du Togo et du Bénin, sont partis à la découverte des lieux sacrés de leur territoire investis par une force souterraine, appelée dïbo : bosquets, sources, cascades portant la trace des défunts devenus jadis leurs alliés.
À une époque où nous prenons conscience des ravages irréversibles infligés à la nature, le Koutammakou apparaît comme un exemple de respect dû à la Terre, dont les habitants, les Batammariba, se considèrent comme les simples gestionnaires. Ces lieux préservés, qui lui confèrent par endroits l'aspect d'un monde originel, lui ont valu d'être inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco en tant que « paysage culturel vivant ».
Pour cet ouvrage, tous deux ont été accompagnés — de loin — par Dominique Sewane, anthropologue, accueillie au Koutammakou depuis les années 1980, auteur d'ouvrages de référence sur la vie cérémonielle des Batammariba.
« Dans ce livre sur la pensée millénaire qui anime le Koutammakou, et dans le sillage de deux Batammariba en quête des lieux sacrés de leur territoire, lieux protégés depuis des siècles, nous découvrons la valeur d'une éthique transmise au cours des générations, dans laquelle prédomine le respect que doivent les humains aux forces de la nature afin de préserver l'intégrité de la Terre. »
Jean Malaurie (préface)
« Durant plusieurs mois, Bantéé et Bakoukalébé ont parcouru vallées et collines des trois cantons : Warengo, Nadoba, Koutougou. Longues marches sous une chaleur accablante, sur un sol détrempé par les pluies ou pierreux à flanc de montagne, rien n'a pu affaiblir l'élan des deux explorateurs partis à la découverte de lieux investis par un esprit souterrain appelé dïbo : sources, cascades, arbres, termitières, roches, entourés de leurs « amis », des arbres formant des bosquets touffus, sortes de petites forêts interdites d'accès en dehors des cérémonies. »
Dominique Sewane
« Au Koutammakou, les lieux sacrés sont d'autant plus élevés symboliquement qu'ils constituent les piliers soutenant le ciel et la terre... Bref, ces lieux symboliquement et hautement sacrés représentent les fondements de la nécessaire harmonie qui devrait exister entre l'homme et son univers afin de maintenir le perpétuel équilibre des choses et des êtres. Il s'agit en effet, tels que les Batammariba conçoivent leur vision du monde, d'un équilibre. S'il venait à se rompre, la survie humaine serait compromise. »
Marcus Boni Teiga (posface)
Naissance Du Livre et Présentation : Dominique Sewane
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« Dès mon premier séjour au Koutammakou, Bantéé N'Koué a été mon « compagnon de route ». « II montre le chemin à l'Ope (Blanche) », disaient les anciens de Warengo, nous voyant aller de takyenta en takyenta. Il était pareil à celui qui, en tête de file, éclaire un sentier avec son flambeau. Il m'accompagnait dans les takyenta de Maîtres du savoir, titre donné à tout okwoti ou ancien considéré comme porteur d'un savoir transmis par ses aïeux. Il traduisait sur un cahier d'écolier leurs énigmatiques tinanti (sentences et paraboles), chants entendus à un tibenti (rite de deuil), la parole 'formulée à mi-voix devant les autels d'ancêtres d'une takyenta. Alors âgé de dix-neuf ans, Bantéé venait de quitter le collège qu'il fréquentait au sud du Togo pour s'occuper de sa famille après le décès de son père. Passionné de lecture, il me demandait de lui rapporter des ouvrages de philosophie à chacun de mes retours, jusque dans les années 2000, lorsqu'il fut question d'inscrire le Koutammakou sur la liste des sites classés du Patrimoine mondial de l'Unesco en tant que « Paysage culturel vivant ». « Pas à pas », simpara simpara, j'ai abordé une pensée millénaire dont je suis loin d'avoir sondé la profondeur. Obscure au début des années 1980, elle s'est éclairée au fur à mesure de mes nombreux « aller-revenir », mais par instants, comme illuminée de brefs éclairs. Elle conserve ses zones d'ombre, aussi inaccessibles pour une Européenne qu'à la plupart des Batammariba s'ils n'ont pas été les dahila, ou « aspirants au savoir » d'un okwoti. Quelle pensée de quelque profondeur ne reste pas en deçà d'une dimension qui échappera toujours aux mots qui tentent de la cerner ? D'autant plus aux concepts forgés par l'Occident.
Alors que je participais au mois de mai 2014 au colloque international de l'université de Kara, je proposai à Bantéé N'Koué d'entreprendre clés recherches sur les lieux sacrés du Koutammakou, exemple du respect que porte une société animiste à son environnement. Les jours suivants, je fis la connaissance de Bakoukalébé Kpakou, originaire du canton de Nadoba, jeune homme réservé d'une grande courtoisie comme savent l'être les Batammariba. Fils d'un ohoya (responsable de rituels), il venait de soutenir un remarquable mémoire de maîtrise : Histoire du peuple tammari de Koutougou du XVIIIe siècle à 1899- II appartient à cette nouvelle génération d'Africains qui consacrent leurs recherches à l'histoire, la préhistoire, la langue, l'architecture de leurs sociétés. Nombreux sont ceux qui, comme lui, désirent comprendre leur passé ou étudier les subtilités de leur langue maternelle.
Une sympathie immédiate rapprocha Bantéé et Bakoukalébé. Ils convinrent de cheminer ensemble. Tout est allé très vite, comme l'a noté Jacques Hesse. Dans un premier temps, nous reprîmes contact avec les chefs de canton et de village qui s'étaient impliqués en 2008 dans le « Programme de préservation du patrimoine culturel immatériel des Batammariba.» En particulier, avec le chef du canton de Koutougou. Il nous confia à un jeune villageois qui nous guida vers des lieux difficiles d'accès. Qu'il en soit à nouveau remercié. Durant plusieurs mois, Bantéé et Bakoukalébé ont parcouru vallées et collines des trois cantons : Warengo, Nadoba, Koutougou. Longues marches sous une chaleur accablante, sur un sol détrempé par les pluies ou pierreux à flanc de montagne, rien n'a pu affaiblir l'élan des deux explorateurs partis à la découverte de lieux investis par un esprit souterrain appelé dibo : sources, cascades, arbres, termitières, roches, entourés de leurs « amis », des arbres formant des bosquets touffus, sortes de petites forêts interdites d'accès en dehors des cérémonies. Grâce au réseau wifi couvrant depuis peu la région, nous avons pu communiquer tous trois jusqu'en 2017. Textes et images furent envoyés à Paris, témoignages d'exception recueillis à l'aide d'un simple appareil de photo à piles et d'un petit clictaphone. Bakoukalébé s'est révélé photographe de talent. Et peu à peu, simpara, simpara, le livre a pris forme. ».
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Le Voyant A L'écoute De La Terre
Veiller à l'intégrité de la Terre, signifie rester à l'écoute des dibo,(esprits, force de la nature) en comprendre les messages. L'intervention de quelques rares individus, les voyants, est déterminante, vitale pour tous. Un uwété (voyant) vient au monde avec-dés « affaires de destin » qui le maintiennent en constant éveil, le conduisent à explorer des régions inconnues. Les plus puissants d'entre eux sont dotés d'une acuité des sens qui les rendent aptes à percevoir les mouvements les plus infimes de la nature. Ils sont capables de prévoir, plusieurs jours - voire plusieurs mois - à l'avance, un changement climatique : une sécheresse, ou au contraire de fortes pluies. Précieuses informations pour les agriculteurs aux sens « ordinaires ». Un owété aime à marcher seul dans la brousse. À l'affût comme peut l'être un chasseur, il est enclin à s'interroger sur des détails sans intérêt pour un homme ordinaire : un arbre à la forme singulière, une termitière subitement apparue sur le chemin, une levée de terre surgie sans cause apparente. Il s'arrête, examine, s'interroge. Le monde considéré comme invisible ne l'est que pour des humains à la « vue » déficiente, c'est-à-dire incapables de déceler les courants de forces dont un owété ressent les manifestations. Ses sens exacerbés lui permettent de se lier avec un dibo. Bien qu'un dibo se complaise à la solitude, il lui arrive clé jeter son dévolu sur un promeneur qu'il tente de séduire. Encore faut-il que ce dernier sache le reconnaître pour tel. « Pourquoi cet animal ne s'enfuit-il pas à mon approche ? » « D'où provient cette lueur, cette brise soudaine ? » Le promeneur s'arrête, intrigué. En lui-même, grâce à son « ouïe intérieure », il perçoit une voix - une vibration - inaudible pour tout autre que lui. Dissimulant à ses proches sa découverte, il revient au même endroit, se familiarise avec son nouvel ami. Bientôt, ils ne peuvent plus se passer l'un de l'autre. Un jour, le dibo lui octroie une part de ses pouvoirs, lui donnant accès à son propre univers.
Extraits de la Préface de Jean Malaurie :
« je soutiens que notre univers de pierres , de plantes, nos mers ,nos océans ne peuvent être considérés comme un métalogisme abstrait dont on a éliminé toute portée métaphysique. Une modeste question ,et comme en passant, qui est au cœur de l'histoire de l'homme quand il a accepté un divorce avec le peuple animal : l'ours blanc, frère l'ours, a-t-il une âme et la conscience de la mort, après les temps vécus d'hybridation avec son frère utérin, l'homme, avant que celui-ci ne se dégage de ce fœtus et s'affirmant alors bipède ? Dans une réflexion silencieuse, en méditant, les hommes renaturent en permanence la culture et reculturent la nature, ainsi que nous l'enseignent l'éminent philosophe japonais Tetsurô Wasuji et mon collègue inspiré, le géographe philosophe Augustin Berque. Écologie et spiritualité sont liées. Il y a un « ailleurs ». Tout mortel est amené à s'interroger sur les temps obscurs qui l'attendent. Les hommes, de longue date, en faisant le vide en eux-mêmes, ont appris à percevoir le murmure de l'espace et le message assourdi de certains minéraux, du sol et des plantes qui communiquent entre elles, des hummocks de la banquise. Interrogeons-nous avec le regretté botaniste Jean-Marie Pelt : « Les plantes ne dialogueraient-elles pas entre elles ? » Ainsi les couleurs : le vert, aux hautes latitudes, serait jugé dépourvu de force, tout comme le jaune ; le noir, porteur d'un message d'éternité, et le brun-rouge viril des roches ordoviciennes qui sexualise les couleurs. Il est en effet une anthropologie sensorielle de la couleur, mais aussi des sons et des odeurs, qui déterminent, chez les Inuit, les lieux d'inspiration des animistes, et particulièrement des chamans, dans le vécu de leurs transes. L'univers est habité par des forces qui se contrecarrent, voire s'opposent ou se conjuguent. Une psychologie intime influence la pensée et les rêves orientent ou s'opposent à un animisme collectif….
…. La pensée des peuples dits primitifs a une profondeur que nous commençons tout juste à découvrir. Ainsi de Koutammakou, Lieux sacrés, où transparaissent une quête spirituelle et une pensée de l'au-delà difficile à saisir dans sa subtilité. La pierre, l'arbre, l'animal parlent, si nous savons comme un chaman inuit ou un voyant africain l'écouter, la courtiser, la séduire - comme savait aussi le faire, mais d'une autre manière, le grand botaniste Jean Marie Pelt. Car le livre véritable, celui qui dispense un enseignement fondamental, est celui de la Terre. Alors que pendant soixante ans, je m'efforçais d'exprimer ma pensée, dans une Sorbonne résolument sourde à cette nouvelle science d'écologie humaine, c'est en compagnie de ces peuples « premiers » - Inuit, Indiens, Africains... - que j'ai enfin compris que ce que je cherchais à saisir me restera à jamais inaccessible ; ainsi que le ressentait Jean-Jacques Rousseau dans ses Rêveries d'un promeneur solitaire. Je sais désormais que la vérité est de l'ordre de l'indicible. Il n'y a pas de pensée sauvage, mais une prescience sauvage. Jean Malaurie
Deux Lieux Sacrés : Exemples Extraits Du Livre : « La Roche Porte Moi Je Vais Voir »…
« La roche de Kouyakougou ou « Porte-moi je vais voir », se trouve dans une forêt sacrée, au pied de la montagne,où sont conduits les garçons lors du difwani, le rituel initiatique des jeunes garçons. On ne peut s'en approcher que le matin. On dirait qu'elle est posée en équilibre sur une pierre. L'une et l'autre sont aussi sombres que les pierres de la rivière. Quand on l'aperçoit pour la première fois, on est effrayé par ses dimensions. Elle est gigantesque : au moins huit mètres de long ! Large et plate d'un côté, elle s'amincit comme la pointe d'une flèche.
Les anciens rapportent l'histoire que voici : deux frères cheminaient dans la forêt. Le plus petit dit à l'aîné : « Porte-moi sur ton épaule, je vais voir la vallée. » Perché sur l'épaule de son frère, il voit combien la vallée est belle et refuse de redescendre. Plus tard, ils sont changés en pierres. De fait, l'endroit où la pierre du bas se relie celle du haut ressemble à un pied, comme si on l'avait soulevée du côté sud pour qu'elle se tende vers le nord. Lorsqu'on reste à côté de la roche, il ne faut pas s'exprimer dans une autre langue que le ditammari sinon elle se mettrait à trembler et jetterait un mauvais sort à l'imprudent.
…
L'appel Venu De La Forêt.
"En parcourant les sentiers du Koutammakou, un Otammari entend parfois une voix l'appeler doucement par son nom. L'appel provient d'une forêt ou d'un bosquet. Elle a l'intonation d'un ami cher, d'un frère aimé, d'une sœur ou d'une mère partis vers « Là-Où-Vont-les-Morts ». Troublé, il répond, mais regardant autour de lui, constate qu'il est seul. D'où est venue la voix ? D'un esprit ? D'un être humain sous la terre ? Que lui veut-il ? Qui peut le savoir ? Or, l'être mystérieux qui l'a appelé désire que son diyuani (souffle, âme) le rejoigne dans les profondeurs de la forêt où l'attend sa mort. Pour avoir eu l'imprudence de répondre à l'appel, le promeneur se rend compte trop tard de son erreur : il aurait dû rester silencieux. De retour chez eux, certains dépérissent au souvenir de l'appel. D'autres succombent dans la journée. Leur diyuani se hâte de retourner vers la forêt d'où est venu l'appel. Ces esprits sévissent un peu partout sur le Koutammakou. En causant avec les uns et les autres, on arrive à situer les endroits ombreux d'où sont entendues les voix. Un étranger de passage aura soin de se renseigner sur de tels lieux afin que, s'il s'entend appeler par son nom avec douceur, il prenne garde à ne pas répondre…. "