© Simon Annand
Critique de The Prisoner, de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, vu le 17 mars 2018 au Théâtre des Bouffes du Nord
Avec Hiran Abeysekera, Ery Nzaramba, Omar Silva, Kalieaswari Srinivasan et Donald Sumpter, dans une mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Une chance inouïe. C’est la première réflexion qui me vient au sortir du spectacle. Dire que j’aurais pu manquer ça. Cette découverte. Ce monde. Cette pureté. Dire que j’aurais pu manquer Peter Brook et son théâtre si particulier. Unique, peut-être. Je suis pourtant abonnée aux Bouffes du Nord. J’avais même réservé pour le spectacle de sa fille, cet excellent Peer Gynt monté il n’y a pas si longtemps. Étrange erreur heureusement réparée grâce à Olivier Mantei qui me propose si gentiment une place. Si humainement. Désir de transmission ? Quelque chose d’assez Brookien finalement.
Le spectacle s’ouvre avec un homme occidental. Est-ce nous ? Est-ce Peter Brook ? Qu’importe. Cet homme, en voyage dans une contrée lointaine qui ne sera jamais décrite précisément, fait la rencontre d’un homme du pays, Ezekiel. Il va lui conter l’histoire de son neveu, Mavuso, qu’il pourra rencontrer dans un désert puisqu’il y reste chaque jour, assis devant une prison, « pour réparer ». Réparer quoi ? La réponse immédiate serait la suivante : réparer le crime indicible qu’il a commis en tuant son père après l’avoir découvert dans le lit de sa soeur. Et pourtant cela ne colle pas… entièrement.
Ma relation avec ce Théâtre est assez particulière. J’ai mis du temps à apprivoiser le lieu. Je me souviens de ma première venue ici, c’était pour un Claudel et j’ai eu peur de cette salle. C’est tellement niais et pourtant tellement vrai ici : le lieu est hanté, il est habité, il porte les marques du temps grâce à des restaurations qui ont pris soin de le laisser en l’état. Il est d’une beauté à couper le souffle et, lorsqu’il est aux mains de Peter Brook, le résultat est simplement époustouflant.
© Simon Annand
Il est sans aucun doute celui qui connaît le mieux le théâtre. Réunissez le maître de l’épure et son lieu de prédilection et le résultat n’en sera que plus magistral. Sur scène, quelques rochers, quelques buissons. Aucun décor. Ici, le lieu est personnifié. Pour moi qui ai si peu voyagé, ces lumières projetées sur ces murs au rouge si particulier, intense et marqué par le temps, créent un paysage qui ne correspond sans doute à rien dans la réalité mais qui me permet de m’évader loin.
Voilà un spectacle qui pose des questions de manière à la fois simple et poétique. Un spectacle qui aborde la question de la justice et, d’une manière plus globale, la société dans ce qu’elle a de plus normatif. Cette orientation se faire de manière extrêmement naturelle, passionnante, jamais explicative, simplement en racontant une histoire sans prendre parti. Et cette fin. Cette fin. Il y a quelque chose de très humble dans la manière de poser les questions, d’aborder cette histoire, et une véritable authenticité, comme un besoin de prendre du recul face à un propos trop intériorisé pour être compris par une simple introspection. On ressent la nécessité de porter ce sujet sur une scène.
S’il est un scénographe de talent, Peter Brook n’en délaisse pas moins la direction d’acteurs. Exemplaire. Chaque comédien a une aura monstrueuse et amène avec lui une histoire, un passé, une âme qui respire à ses côtés. Ils font partie du décor, littéralement, et dans le bon sens du terme : ils ne s’y adaptent pas, il le forment avec eux. Pas besoin de musique, pas besoin d’artifice : ils créent réellement l’univers autour d’eux, en échangeant des mots simples, des regards profonds, des pensées nécessaires.
Perfection. Tout simplement.
© Simon Annand