Jamais les poèmes de Lucien Noullez ne se haussent du col. Ils naissent d’une émotion ou sensation simple, d’une anecdote ou pensée modeste dont ils entendent éclaircir le sens et fixer la trace sans courir aux grands mots ni « pousser des colères de feu ». En sorte que, « sans pleurer », une mélancolie tendre, et volontiers narquoise, est toujours préférée au tragique (comme sont préférées les petites bêtes aux grosses) pour mettre en scène le « petit monde » de l’auteur et témoigner, considérant en face le « monde immense », de l’universelle condition humaine dans laquelle, tous, nous « barbotons » – et tous nous allons mourir « et puis / hop, oublié[s] comme les autres ».
Ainsi, l’érudit en musique ne pontifie pas, pas plus que le croyant n’évangélise ; sa foi chrétienne assumée n'exclut jamais le doute (« Mon Dieu, si vous n’existez pas, / faites un effort […] J’ai encore perdu la foi ») et se vit dans l’ouverture de la plus généreuse tolérance (en quoi gênerait-elle donc l’agnostique que je suis, en quoi serait-elle risible pour un lecteur athée ?) Rien, chez lui, des certitudes triomphantes ; une pente pusillanime, ou aquoiboniste, sinon sage (l’âge mûr sait parfois régler leur compte à l’impatience, à l'amertume, à la jalousie, au ressentiment et à la colère), le retient même de bouger quand tout s’agite, de vouloir « changer le monde » ou le délivre d’un besoin de bonheur ; et pourtant : « on continue, / rien que pour voir ». Quant à sauver le monde, sa connaissance de lui-même et de ses – humaines, trop humaines – petites lâchetés (« j’ai préféré m’enrouler dans les draps ») l’enlève à toute illusion. Enfin, face à tant de choses, les fleurs comme le robinet en panne, le poète sait dire qu’il ne sait pas.
On l’aura compris, l’humilité est constitutive de la nature et de l’écriture de Lucien Noullez :
« Il y a trop à dire
et je n’ai rien à avancer ».
Sans doute y a-t-il, chez ce Bruxellois, quelques (beaux) restes de surréalisme belge (que j'aime tant), de cette fantaisie dynamitant tout esprit de sérieux. Mais il y a aussi une profondeur rien de moins que métaphysique, et miraculeusement légère. Parfois, Michaux semble proche, cousin d’un désespoir souriant, façon pirouette, comme dans ce « Cherchez ailleurs » du petit humain qui fait un trou dans la glace, dans le noir.
Qu’il soit permis de regretter, et vivement, qu’un recueil d’une pareille farine n’ait pu paraître chez un éditeur patenté susceptible d’assurer sa publicité, sa distribution et sa diffusion*. On rappellera que les précédents ouvrages de Lucien Noullez avaient été fidèlement publiés et défendus par Vladimir Dimitrijević (L’Âge d’homme) jusqu’à la mort accidentelle de l’éditeur, en 2011.
Bernard Bretonnière
Lucien Noullez, Les Travaux de la nuit, poèmes, Bruxelles, Éditions du Pairy, 2018, 81 pages, photo de couverture, Marie Peltier. Sans ISBN, ni achevé d’imprimer, ni prix (autoédition).
* Pour acquérir ce livre : versement de 17 € (envoi compris) au compte BE 49 2100 4862 8071 (code BIC : GEBA BE BB) des Éditions du Pairy (boulevard de la Révision 27 – 1070 Bruxelles – Belgique) avec la mention : « Les Travaux de la nuit » (pas de possibilité de chèques pour la France) ; ou s’adresser à : editionsdupairy@editionsdupairy.com