(Notes sur la création) Marc Blanchet, "Les Amis secrets"
Par Florence Trocmé
« "L'art peut être très rapide, / à condition d'être très lent", a écrit quelqu'un avant de l'enfouir dans l'anonyme », confie Valente avant que sa propre parole puisse par le poème rejoindre la masse aveugle du dire. À la fin d'un poème, l'écrivain espagnol cite cette phrase comme pour dépecer celui-ci de toute prétention et rappeler que son écriture n'est qu'une mise en échos. L'ensemble de sa poésie est le déploiement de sons disparates d'une origine innommable, que l'on approche en espérant que les mots veuillent bien se souvenir. Ceux-ci sont déjà dans l'attente de leur propre évanouissement. Le poème est une forme suprême de méditation pour les convier et s'oublier en eux. Et connaître l'envers des choses. C'est la nuit profonde de Jean de la Croix. La poésie permet d'épouser la nature évanescente des mots tout en mesurant leur pouvoir à engendrer le temps — un espace en dehors des limites humaines et dans l'écoute d'un au-delà.
Écrire nous fait verser dans l'inconnu, parmi des flots de points aveugles (mot dans lequel je reconnais presque en anagramme le nom de José Angel Valente.) Sommet du poème, la lecture déploie en soi une perception élastique du temps en frôlant la lumière dans sa disparition. C'est une nuit profonde, et la seule connaissance possible : ressentir ce qui nous aveugle, et éventuellement remercier la flèche qui en blessant nous fait naître. La poésie de Valente est en variations cette reconnaissance qui ne se lit ni de gauche à droite ni dans le sens contraire : la lecture dans sa verticalité seule signe notre condition. Nous l'effectuons, tels des anges déchus, de haut en bas, dans le sens de la chute, comme si elle promettait à son terme une ascension. »
Marc Blanchet, Les Amis secrets, éditions José Corti, 2005, p. 17.