Il y a deux cents ans aujourd'hui : la surprise de Cancha Rayada [Bicentenaire]

Publié le 19 mars 2018 par Jyj9icx6
Il y a deux cents ans aujourd'hui, le général José de San Martín, libérateur de l'Argentine, du Chili et du Pérou, subissait son unique revers militaire dans les douze ans qu'il a consacrés à la guerre d'indépendance du continent.
De nuit, à la fin du carême, comme c'est aussi le cas cette année, alors qu'il n'avait pas même encore donné aux hommes l'autorisation de mettre les fusils en faisceau pour le bivouac, les forces absolutistes placées sous les ordres du général Osorio, gendre du vice-roi du Pérou, l'attaquèrent par surprise, semant dans les rangs chilo-argentins qu'il commandait une panique rapide qui aboutit à la dispersion de l'armée patriote et indépendantiste. Le Directeur suprême du Chili, Bernardo O'Higgins (1778-1842), fut gravement blessé à cette occasion : une fracture ouverte au bras, ce qui, dans les conditions médicales du début du XIXème siècle, mettait véritablement sa vie en danger. San Martín, avec sa garde et une partie de son état-major, parvint à réaliser une retraite sûre jusqu'à San Fernando, d'où il s'appliqua, pendant trois jours, à rassembler ses troupes, sans dormir ni changer de vêtements.

Article paru en France le 7 juillet 1818
dans les colonnes du Journal des Débats
Dans ces années-là, le JDD s'aligne parmi les royalistes,
fidèles à aux frères de Louis XVI rentrés d'exil "dans les bagages des coalisés"
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L'homme était si populaire au Chili que lorsqu'il rentra à Santiago, hirsute, sale et épuisé, il fut acclamé par la population civile. A sa plus grande surprise. Il n'avait jamais vu qu'on acclame un commandant qui ne revenait pas vainqueur. Mais un bruit avait couru à Santiago dans la nuit du jeudi 19 au vendredi 20 mars : San Martín, écrasé par sa défaite, s'était donné la mort sur le champ de bataille. Quant à O'Higgins, il avait disparu dans la déroute et on ne savait pas ce qu'il était advenu de lui. Une peur immense avait saisi les habitants de Santiago à l'idée de perdre un officier d'une telle qualité et un chef d'Etat énergique dans l'enjeu qu'était la résistance d'un Chili indépendant face aux tentatives de reprise en main des royalistes, commandés par la très coloniale Lima, avec en arrière-fonds le souvenir cuisant de la lointaine bataille de Waterloo, qui trois ans auparavant avait porté le coup de grâce à l'épopée napoléonienne (1). On a conservé des descriptions de la capitale saisie de panique, avec des familles qui pliaient bagages et partaient, dans un désordre invraisemblable, se réfugier à Mendoza, de l'autre côté des Andes.
La réussite de son coup de main surprit Osorio lui-même : ses rapports militaires montrent qu'il est soudain pris d'une exultation qui se transforme très vite en forfanterie. Une perte de lucidité qui allait lui coûter cher. Cette réaction disproportionnée nous en dit long sur la réputation militaire dont jouissait San Martín et sur la peur qu'il inspirait à l'ennemi. Trois semaines plus tard, Osorio était vaincu à Maipú et, oubliant toute règle de l'honneur, il prenait la fuite avant même la fin des combats. Ces trois semaines, San Martín les avait employées, heure par heure, à reconstituer ses forces, malgré un calendrier peu propice à un tel retournement de situation. Imaginez seulement que la Semaine Sainte et ses nombreux exercices spirituels s'étaient immiscés dans l'entraînement et les manœuvres préparatoires à la bataille définitive. Et de fait, le dimanche 5 avril, Maipú marqua la fin des espoirs des pro-Espagnols de reprendre quelque contrôle que ce soit sur le Chili (2).
Aujourd'hui, à Buenos Aires, La Nación marque le coup en publiant une chronique de l'historien Daniel Balcameda sur cet épisode assez mal étudié de la guerre d'indépendance.
(1) Or les Sud-Américains avaient commencé à rapprocher San Martín de Napoléon, après qu'il avait traversé les Andes, en janvier et février 1817, pour libérer le Chili, retombé en 1814 sous la coupe du vice-roi du Pérou. (2) Cette "surprise de Cancha Rayada" est amplement documentée dans mon livre, San Martín par lui-même et par ses contemporains, que j'ai publiés aux Editions du Jasmin.