En France, le travail, c’est la Santé, avec un S majuscule puisque lorsqu’on travaille trop, c’est bien la prison qui pend au nez de l’impétrant. On pourrait croire qu’ainsi, l’État entend préserver une douceur de vivre effectivement imposée à tous. Il n’en est rien.
Ici, on parle bien d’une lutte sans merci contre ceux qui ont l’impudence de sortir des clous disposés par la loi et surtout les administrations, ce véritable occupant intérieur dont j’ai déjà parlé dans de précédents billets.
Cette force d’occupation n’a pas de temps à perdre en considérations oiseuses sur l’utilité sociale du travail, sur les besoins fondamentaux de l’économie, du commerce ou même, plus humainement, des besoins de base des individus : elle s’en moque. Ce qui lui importe est que tout le monde rentre bien comme il faut dans les cases qu’elle a construites, sans la moindre exception et que le moindre écart, aussi moral soit-il, soit lourdement sanctionné.
J’en veux pour preuve quelques récentes affaires dont les réseaux sociaux et, parfois, les journaux se sont fait l’écho.
C’est ainsi qu’on apprend qu’un boulanger se retrouve sanctionné pour avoir osé travailler sept jours dans la semaine. L’arrêté de la DIRECCTE, l’administration préfectorale qui sait mieux que les habitants qu’elle administre ce qui est bon pour eux, qui sait mieux que le boulanger ce qui est bon pour lui, qui sait mieux que les commerces alentours ce qui est nécessaire de ce qui est futile, est en effet très clair : depuis 1920, il est formellement interdit aux boulangeries d’ouvrir sept jours sur sept. C’est ainsi. Et ce qui était vrai en 1920 doit l’être encore de nos jours, où les campagnes ne se dépeuplent pas, où les commerces de proximité ne ferment pas, où les petits commerçants ne sont pas déjà écrasés d’impôts, de taxes et de ponctions vexatoires.
Comme le rapporte l’article, ce boulanger poursuivi pour avoir osé fournir un service et du pain à ses clients n’est pas le premier à tomber dans l’escarcelle d’une administration en mal d’argent et d’exercice de son pouvoir de nuisance : en réalité, c’est récurrent et nombreux sont les commerces à se faire ainsi harponner sur des motifs tous aussi ridicules les uns que les autres. Ne comptez pas sur la hiérarchie de ces administrations pour lâcher du lest : si on est parvenu, avec rigueur, obstination et sens impeccable du devoir, à envoyer des millions de gens à une mort certaine, tabasser des commerçants à coup d’amendes ne posera aucun souci moral à la ribambelle de petits kapos qui clameront tous, comme un seul homme, ne faire que leur strict devoir.
D’une même façon aussi épiquement répugnante que la DIRECCTE, c’est au tour de l’URSSAF de démontrer encore une fois à quel point l’humanisme a totalement disparu de ces officines administratives sans âme et dont le but n’est plus qu’un incessant besoin d’écraser tout individualisme, toute différenciation, de préférence en suçant financièrement l’hôte et si possible jusqu’à ce que mort s’en suive.
Dans l’un de ces élans minables qui caractérisent les bureaucraties devenues folles mais continuent, bien au-delà de toute raison, d’appliquer vaille que vaille et à la lettre les règlements les plus ridicules, voilà qu’une URSSAF rigoureusement hontectomisée réclame plus de 80.000 euros à la communauté Emmaüs de Cambrai-Fontaine Notre-Dame dans le Nord.
Cette dernière est en effet accusée par l’URSSAF de salarier ses membres puisque la communauté ne se cache pas de verser un pécule de 340€ par mois à ses compagnons (soit 12€ par jour, l’équivalent des frais de repas) ; en vertu de quoi, l’association caritative qui vit essentiellement des dons se retrouve à devoir payer des cotisation sociales que l’organisme s’est empressé de calculer à hauteur de 82.059 euros ce qui ne manquera pas, si ce montant devait être effectivement déboursé, de mettre l’association en faillite.
Ici, la volonté de nuire ne fait absolument aucun doute et, comme d’habitude, l’occupant se retranche derrière l’application froide, stricte et parfaitement inhumaine de ses principes les plus délétères pour justifier son opération d’annihilation méthodique d’une opération charitable :
« On ne fait pas de différence en fonction des entreprises, c’est le principe de l’égalité de traitement. La question est, doit-on appliquer la loi dans certains cas et pas dans d’autres ? La réponse est non »
Car tout le monde sait que l’égalité stricte est d’autant plus nécessaire qu’elle permet d’éradiquer la charité (qui se passe de l’État). Tout le monde sait que ces cotisations, une fois perçues et la communauté Emmaüs définitivement fermée, apporteront un évident bénéfice à la collectivité, à commencer par celle des inspecteurs et des agents de l’URSSAF qui n’oublient jamais de se payer leur salaire, eux. Tout le monde sait aussi que cet égalitarisme de parasites gloutons ne dépend que de la volonté spécifique de ces organismes et de ces inspecteurs.
Ici, ceux qui pensent qu’il s’agit de cas malheureux, de petits grains de sable dans les machines huilées d’administrations efficaces et justes, se trompent lourdement ou font preuve d’une naïveté assez stupéfiante. Ce genre de cas est en réalité péniblement récurrent, comme en attestent mes nombreux autres billet sur le sujet.
Ceci montre d’ailleurs que, malgré les articles de presse, malgré les billets, malgré la publicité désastreuse que ces faits divers entraîne à l’encontre des officines administratives responsables, malgré l’outrage visible et la colère du peuple lorsqu’il en prend connaissance, malgré les protestations, tout continue pourtant comme si de rien n’était.
Ce n’est pas un hasard, ce n’est pas fortuit : l’occupant intérieur s’en fout complètement.
L’occupant intérieur n’est pas là pour le bénéfice du peuple. Il n’a jamais été là pour ça et s’enorgueillit même de faire son travail en dépit du peuple s’il le faut, jugeant que si la loi a été votée, si les décisions ont été prises, si la machine est en marche et si elle écrase au passage quelques individus, c’est parfaitement normal, calculé voire désirable : non seulement, cela prouve à tous qu’elle fait quelque chose (peu importe que ce soit néfaste), mais aussi cela démontre sa propre puissance et qu’il ne faut surtout pas la contrarier.
Auto-justifiant ainsi son existence et pouvant par la même occasion semer, en plus de la colère, un peu d’effroi dans le cœur facilement impressionnable du peuple qui paie pour ses exactions, l’occupant intérieur n’a que faire des gémissements et des cris de ceux qu’il exploite et persécute : ce n’est pas une erreur, c’est fait pour ! Ce n’est pas un bug, c’est une fonctionnalité !
Et donc non, ce genre de méfaits n’est pas un hasard : une force d’occupation ne peut absolument pas se permettre la moindre générosité ni le moindre arrangement amiable avec ceux qu’elle colonise. Non seulement, elle risquerait que ses largesses et ses petits compromis soient pris pour de la faiblesse ce qui reviendrait, à terme, à signer sa propre disparition mais en plus, dans le cas français, cela reviendrait à admettre une faille intellectuelle dans l’égalitarisme qui est, dans ce pays, la mesure de toutes choses.
Or, si une vérité est intangible en France, c’est bien que tout le monde doit cracher au bassinet, tout le monde doit se faire ponctionner, même et d’abord les plus faibles !
Oh, certes, certains politiciens, certains habiles bien en cour échappent aux ponctions et aux avanies des administrations, mais en réalité, c’est qu’ils font directement partie du système et doivent d’ailleurs y prêter régulièrement allégeance pour bénéficier de ces passes-droits. Mais pour les autres, les sans-dents et ceux qui ne sont rien, le couperet tombe toujours (et côté lame, bien sûr).
L’occupant intérieur continue donc ses méfaits. Le peuple râle, rouspète, pleure ? Tant mieux ! L’occupant intérieur s’en fout, il est là pour ça !
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