Tout le gratin était là, et il ne s'agissait pas d'une jet-set nouvellement adoubée dans le monde du fric et des affaires. Parmi les Français, il y avait surtout des aristocrates, dont beaucoup étaient désargentés mais arboraient dignement au quotidien leur Barbour ou leur veste en loden rapiécée aux coudes.
Cinq cents personnes sont là pour assister au mariage fastueux de Louise Jeanneret et de Charles-Constant de Cotton de Puy-Montbrun: messe en latin à l'Abbaye Saint-Philibert de Tournus, cocktail en son cellier, dîner placé au Château de Pierreclos pour la crème des invités à l'hyménée.
Seulement la fiancée fait faux bond au dernier moment et le mariage est reporté. Bien qu'il n'y ait plus d'union devant Dieu, les agapes ne sont pas pour autant annulées. Tout Le beau monde se précipite de l'église au cellier. Des gens s'y répandent en récits truculents sur l'absente:
- Un professeur de lettres à l'Université de Genève quand Louise y était étudiante, avait été son initiateur à la culture.
- Un ancien étudiant comme elle à ladite université, issu d'un haut lignage, l'avait soutenue dans l'adoption des usages du beau monde.
- Un ancien élève d'une école technique l'avait abordée à la bibliothèque puis séduite.
- Un ancien étudiant en sciences politiques l'avait initiée à la philosophie politique.
- Un jeune homme, comme elle, voulait se consacrer à l'écriture et, au contraire d'elle, n'était pas parvenu à vivre de ses droits d'auteur.
De ces récits l'image de Louise sort quelque peu ternie, même si elle trouve des défenseurs. Ce n'est certainement pas ainsi que les invités imaginaient la fiancée. Mais ils ne se sont pas déplacés pour rien: sa présence en creux s'avère plus passionnante qu'une robe, même dotée d'une traîne...
Au fil des chapitres, au nombre de sept, comme les péchés capitaux, et comme les sacrements de l'Église catholique, dont ils portent d'ailleurs chacun l'un des noms, le jeu de massacre ayant pour cible la blonde romancière à succès se poursuit quand les invités passent du cellier au château.
Louise est une enfant trouvée: elle ne fait pas partie de ce monde, dont, abandonnant leur souci habituel des convenances, les représentants, en dégoisant sur elle, montrent une face cachée qui n'est guère brillante. Ils laissent en tout cas perplexe l'assistance en faisant d'elle un portrait gigogne...
Ces récits, satire de ce beau monde et de mondes qui ne le sont pas, permettent à l'auteur de s'exprimer dans des registres très différents et de ne pas s'épargner elle-même, faisant preuve d'humour et de lucidité: y a-t-il des romans autres qu'autobiographiques? s'interroge l'un de ses personnages...
Quant à la fin du roman, c'est la cerise sur la pièce montée de ces noces qui n'auront pas eu lieu. Le lecteur, à bon droit, peut s'interroger à son tour: contrairement à l'adage, après tout ce déballage inconvenant et toutes ces ripailles indécentes, les absents ont-ils vraiment toujours tort?
Francis Richard
Le beau monde, Laure Mi Hyun Croset, 208 pages, Albin Michel
Livres précédents:
Les velléitaires Éditions Luce Wilquin (2010)
Polaroids Éditions Luce Wilquin (2011)
On ne dit pas je BSN Press (2014)
S'escrimer à l'aimer BSN Press (2017)