Révolution. Dans le tamis de cette pensée à foison, tout devient magnificence et cohérence. Si la fonction de mémorialiste existe encore, Michel Vovelle l’exalte en donnant corps «aux» mémoires à la sienne mélangées: mémoire au féminin, personnelle ou collective, mémoires au masculin pluriel, livrés par des personnages, célèbres ou inconnus, lesquels nourrissent la première. Comprenez bien, si l’authenticité de toute mémoire doit se discuter sinon se déconstruire, l’auteur tente de restituer une «vérité», et pas n’importe laquelle: l’empreinte des guerres dans son propre parcours. Tout y passe. Les mémoires de Fouché à l’aune des «vrais faux» ; les mémoires vagabondes des dernières décennies passées au crible de la politique ; l’excellence d’un opéra de Mozart ; la question de l’amour comme acte révolutionnaire ; et bien sûr la Révolution française elle-même, puisqu’il s’appelle Michel Vovelle et qu’il reste en l’espèce l’une de nos boussoles (avec Albert Mathiez, Albert Soboul, Claude Mazauric…). C’est sur ce dernier point, dans un chapitre éblouissant intitulé «La mémoire perdue de la Révolution française», que l’historien nous met en garde contre l’«érosion» de l’air du temps. «La révolution est-elle “terminée”?» demande-t-il. Ce slogan «est désormais banalisé» et ce «raccourci pour le moins pauvre de la pensée» semble abolir «définitivement l’idée de révolution, rangée au rang des illusions maléfiques». Et il poursuit: «Devait-on voir dans les grandes secousses où s’abîmait le système socialiste le retour d’une veine révolutionnaire, comme le prophétisait Edgar Morin, ou au contraire des contre-révolutions?» Michel Vovelle ne tranche pas, constate juste qu’une grande partie du combat se trouve toujours devant nous, possiblement fécond. Il raconte d’ailleurs une anecdote: en 2013, dans «Panthéon-Sorbonne Magazine», Pierre Serna, son successeur à cette chaire de l’université, s’obstinait et affirmait: «Nous sommes en 1988… L’Histoire s’est remise en marche… Une révolution a commencé… L’ère des rébellions a commencé.» «Révolution ou rébellion?» interroge Michel Vovelle. Et nous? Sommes-nous des successeurs?
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 16 mars 2018.]