Où il est question de décalage entre la réalité et l'image, de Falcon et de photographies, de suicides et de cheminots.
Il est face à une dame d'un certain âge qui lui reproche les 60% de hausse de la CSG sur les retraites, alors il s'explique. Jupiter "aime la contradiction" ose commenter un éditocrate. La courte séquence vidéo est propulsée par les services élyséens sur les réseaux sociaux pour expliquer combien ce président est pédagogue. Sa pédagogie a ses limites. Jupiter n'explique pas pourquoi les 4,5 milliards d'euros prélevés sur les retraités correspondent justement au montant de la suppression de l'ISF.
Crédit: Elysée.
En déplacement en Indre-et-Loire dans le cadre de la visite d'une école de Rilly-sur-Vienne, il face face à une autre dame d'un certain âge qui lui demande si ce n'est pas "une dictature qui se prépare", "une dictature en marche", avec ces places de prison supplémentaires et ses fermetures d'écoles. L'Elysée ne propulse pas cette vidéo sur les réseaux. Car Macron y répond plein de mépris et de sourire coincé: "vous êtes parti loin" glisse-t-il à deux reprises avant de laisser la dame en plan, le visage figé.La séquence fait tâche dans la com' élyséenne. Macron n'aime pas recevoir cette violence sans filtre devant des témoins. Il veut raconter une légende composée de foules souriantes et de selfies positifs.
Deux jours auparavant, Jupiter a enfin signé la vente de ces 6 EPR en zone sismique. L'EPR est ce nouveau modèle de centrale nucléaire dont le coût explose tellement tous les devis qu'il finit par couter plus cher au vendeur (Areva, c'est-à-dire EDF, c'est-à-dire l'Etat, c'est-à-dire vous et moi, les contribuables) qu'à l'acheteur. La presse s'en fait l'écho. Rares sont les éditocrates qui relèvent l'incroyable absurdité. En revanche, Paris Match s'autorise un reportage dégoulinant de complaisance baveuse sur le couple Macron en visite privée du Taj Mahal,. "Pour assurer un souvenir inoubliable à leurs invités, les Indiens ont fermé les 8 kilomètres de route entre l’aéroport et le palais et vidé ce dernier de ses touristes."
Jupiter avait autorisé une poignée de journalistes et de photographes pour immortaliser le moment.
"Même les chèvres de la capitale s'inclinent sur son passage."Paris Match sur Brigitte MacronLa France de 2018 est ainsi, politiquement dévitalisée par son sommet, à cause de son sommet. Vendredi, le couple élyséen emprunte un Falcon de la République pour une rencontre privée avec le peintre Soulage à Sète. Puis repart en avion de ligne pour Paris.
Visite privée, Falcon public.
La vie est royale.
Quand il rencontre des plus pauvres, ou des anciens, Jupiter donne des leçons d'effort collectif. En coulisses, il fait preuve des mêmes travers Bling Bling qu'un Sarkozy plus transparent. Il a confié un rôle et des moyens à son épouse que personne n'a élu. Cette semaine, il se fait suivre par la brillante photographe Annie Leibovitz. Photographies faussement intimes, sous toutes les coutures, pour une couverture de Vanity Fair en avril, au moment de son déplacement ... aux États-Unis. L'Elysée paye déjà un contrat de photographies officielles à l'agence Bestimage.
L'argent public, toujours l'argent public. Macron n'a-t-il pas les moyens de se payer des photos en couple ?
Jupiter se présente comme sur-actif. Les reportages hagiographiques sur ce "président-qui-ne-dort-jamais" ont été nombreux. Et pour s'assurer que la couverture médiatique élogieuse se poursuive sans accroc, même la chaîne parlementaire s'est dotée d'une documentariste ouvertement macroniste. Jupiter fait désigner par ses députés un proche et admirateur zélé à la présidence de LCP, le retour d'une ORTF ridicule. "La macronie aurait-elle commencé à célébrer, de façon funèbre, le cinquantenaire de Mai 68 ?" s'interroge l'insoumise Clémentine Autain. Pour sa défense, Bertrand Delais explique qu'il a gagné "à la loyale". Personne ne dit qu'il a triché. On dit juste que l'auteur de trois documentaires à la gloire de Macron en moins d'un an n'a pas sa place à la tête d'une chaîne publique d'informations parlementaires. Ce nouveau godillot a été élu dans les règles par un cortège de députés macronistes.
Qui est surpris ?
Emmanuel Macron, ce sur-homme qui impose à la France une cadence "effrénée" de réformes "nécessaires" et "courageuses" cache pourtant son agenda. Ou plutôt, il n'en montre que ce qu'il veut. La macronista est d'abord une affaire de communication avant d'être un sacerdoce au service de la France d'en haut. A la différence de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande, dont l'emploi du temps pouvait se suivre à la quasi-demi heure près, puisque tout ou presque était publié, Macron cache beaucoup de ses journées. Son agenda officiel est peu détaillé, vidé de toute ce qui pourrait faire polémique ou contredire l'image officielle. Semaine après semaine, il faut chercher ailleurs, creuser dans la presse parfois régionale ou sur les réseaux sociaux ces clichés ou ses brèves qui échappent à la communication officielle du jeune monarque. Et découvrir cette vie discrète, Bling Bling à souhait, financée par l'argent public avec autant de facilité que dans l'ancien monde.
Comme cette célébration avec quelques chasseurs à Chambord, devant quelques cadavres de sangliers, en décembre dernier.
Comme cette visite en Falcon de la République, un billet à 50 ou 60 000 euros le trajet, pour aller rendre visite à l'admirable Soulage un vendredi de mars.
Jupiter croit contrôler l'agenda. Nous sommes en 2018, ce jeune homme est-il un vestige des années 70 ?
Loin de ces images contrôlées ou empêchées, les classes luttent, partout. Mercredi, le gouvernement détaille sa réforme de la SNCF en Conseil des ministres. Jupiter ne s'exprime pas, il laisse son premier collaborateur Philippe et une ministre au nom prédestiné, "Borne", raconter le story-telling macroniste. La "concertation" a remplacé la negociation. La sous-ministre en charge des transports annonce la couleur: le gouvernement est prêt à discuter de ... la date de prise d'effet de la fin du statut des cheminots pour les nouvelles recrues. Syndicats et partis politiques d'opposition de gauche annoncent une journée de manifestation le 22 mars. Puis l'intersyndicale des salariés de la SNCF innove: faute de négociation, elle prévient qu'une grève de deux jours tous les 5 jours débutera le 3 avril jusqu'en juin. Le gouvernement est interloqué. Les éditocrates les plus complaisants y vont de leurs bons mots contre les "cheminots-privilégiés".
Pourtant, les motifs du mouvement ne sont pas la défense d'un statut: les syndicats veulent connaître les conditions d'ouverture du rail à la concurrence en 2019, ce que la Macronista se refuse de faire, trop effrayée à l'idée de s'engager dans un tel débat qui contredirait sa propagande européiste. Car Macron a de grands projets pour l'Europe. Il accueille une Angela Merkel enfin reconduite chancelière mais affaiblie par sa réélection de justesse. Jupiter veut "réformer la zone euro". Mis l'Europe du Nord vient justement de retoquer ces grandes propositions.
Les hôpitaux font moins parler d'eux, malgré les ravages des plans d'économies et des sous-effectifs. Dans un reportage de France 2, on voit des patients d'un EHPAD seconder le personnel soignant, trop peu nombreux. A Paris, au début du mois, dans un hôpital public, une technicienne de laboratoire, en contrat à durée déterminée, s'est suicidée. A Besançon, dans un autre hôpital public, une médecin a tenté de mettre fin à ses jours, quelques jours avant la visite, annulée, de la ministre de la santé Agnès Buzyn dans l'établissement. N'imaginez pas de grande mobilisation médiatique pour cela.
Jeudi soir, l'un des bonimenteurs de la macronista, Gérald Darmanin, a l'honneur du prime time du service public. Le ministre du budget, accusé par trois femmes d'abus de faiblesse, n'est pas interrogé sur la seule question qui vaille: trouve-t-il normal de solliciter des faveurs sexuelles en échange de services ?
« Il fallait que je couche pour avoir la lettre et me faire innocenter. » Sophie K. à propos de Gérald Darmanin.Pour le reste, Darmanin a eu quelques difficultés face à Olivier Besancenot, toujours très efficace pour démolir les représentants de la France d'en haut, à démontrer qu’Emmanuel Macron n’était pas "le président des riches". Rendre si vite, si efficacement quelques 5 milliards d'euros à quelques dizaines de milliers de fortunés, pour expliquer ensuite aux retraités, aux personnels hospitaliers et aux EHPAD qu'il fallait se serrer la ceinture. Et que dire de la hausse globale des prélèvements, attestée par l'INSEE malgré les argumentaires foireux mais sur-tweetés de la Macronista ? Que dire de la privatisation de quelques bijoux monopolistiques ?
A la télévision, Darmanin ose qualifier de "coup de canif dans le pacte républicain" les quelque 36 milliards d'euros de fraude fiscale annuelle. Coup de canif ? WTF !?!
Le même jour, les prochaines mesures de contrôle des chômeurs sont dévoilées, une "priorité nationale": rater un rendez-vous à Pôle emploi entrainera une radiation dans les15 jours, au lieu de deux mois auparavant.
Deux poids, deux mesures.
Autre opération de communication, voici Macron qui se fâche si rouge contre la Russie qu'il décide d'éviter le pavillon officiel russe au Salon du Livre qu'il inaugure vendredi. Fichtre ! On a le courage que l'on peu ! Jupiter a le cul entre deux chaises. Il accuse la Russie nommément, comme son homologue britannique, mais il s'abstient de toute sanction véritable. En cause, un ancien espion russe passé à l'Ouest, libéré par l'Etat russe il y a quelques années, est empoisonné au Royaume Uni. La première ministre Teresa May accuse nommément la Russie. Pourquoi ? Le poison utilisé était fabriqué en Union soviétique dans les années 70. Pourquoi donc Vladimir Poutine prendrait-il le risque de faire assassiner un agent retraité une semaine avant une élection présidentielle et trois mois de la Coupe de monde de football ?
Samedi, sous une neige soudaine et tardive, le mouvement des Jeunes avec Macron se choisit un nouveau patron. Fidèle à la tradition macroniste, il n'y qu'un seul candidat - comme pour la désignation du président de groupe de députés (Richard Ferrand), du président de l'AN (François de Rugy), ou de délégué général de En Marche (Christophe Castaner). Et comme d'habitude, c'est un homme blanc: "Nous donnerons notre définition de l'écologie politique, pour accélérer cette prise de conscience !" braille le nouveau venu à la tribune. Pas un mot sur les EPR indiens. "Nous nous battrons pour que l'égalité inscrite dans les textes devienne effective !" renchérit-il. Pas un mot sur la flat tax, la suppression de l'ISF ou de 120 000 postes de fonctionnaires. Ni davantage sur la loi Travail.
Observer ces jeunes, pour certains d'ex-jeunes socialistes, ovationner cette nouvelle Présidence des riches avait quelque chose de cocasse et de sinistre à la fois.
Ami(e) macroniste, mais qui es-tu ?