« Le sentiment-oiseau »
Ses connaissances, malgré sa revendication d’« amatrice » (littéralement : celle qui aime) sont déjà bien impressionnantes… Reconnaître au chant, au pépiement, au plumage, tant d’oiseaux, selon l’heure, la lumière, l’arbre seul ou le bois relève déjà d’une vraie recherche, sans parler de sa très admirative et très tendre attention pour cette « signature de l’espace sonore ». Ce livre est le troisième qu’elle leur consacre, après Jeux d’oiseaux dans un ciel vide et L’aile bleue des contes. Il s’agit donc d’une passion pour la fragilité, d’une obsession pour l’éphémère, d’une vigilance pour les habitants, pas seulement ailés, de la terre… « Ce n’est sûrement pas la planète qu’il faut sauver, elle en a vu d’autres, mais ce sont ses hôtes et ses témoins. » Rien de sentimental, rien de naïf, la nature n’est pas vraiment atteignable en elle-même, on peut simplement essayer de l’accompagner, de la protéger :« j’appartiens à l’espèce qui cloue, mais aussi, comme Apollinaire, j’ai un cœur, qui cloue, qu’on décloue,
Qu’on cloue, qu’on décloue, qu’on recloue.
Parfois j’arrive à l’oublier. » »
Dès l’enfance, elle n’aime pas appartenir à l’espèce humaine, et se tient toujours comme en retrait de cette espèce, comme coupable pour tant d’autres de tant de maltraitances courantes, avec humilité, conscience, émotion.
Fabienne Raphoz aimerait connaître le vol et le chant des oiseaux de l’intérieur d’elle-même, « Combien de fois… le paysage ne s’est-il pas transformé, dans mon corps du moins, en territoire, quand jumelle coincée sur les yeux à m’en faire péter les arcades, je fixais l’oiseau et que, comme par capillarité, les alentours n’étaient plus regardés « mais sentis». Je ne saurai jamais hélas ce que c’est qu’être oiseau, mais j’ai parfois approché, du moins ressenti, cette transparence qui fait que lui, l’oiseau, ne me voyait plus, dans le même temps où se transformait en moi cet être-là de l’être sur un territoire qui est le sien. »
L’oiseau est autre, l’oiseau c’est l’autre, une altérité absolue qu’on peut éprouver au premier animal venu, qui plus est, l’insaisissable petit être au regard et au plumage vifs (sauf le long regard fixe dans le « visage » de la chouette, qui a ses yeux sur sa face et non sur les côtés, ainsi que je l’ai appris dans ce livre).
Il ne s’agit pas pour autant de parler « au nom de », Fabienne Raphoz écrit ce livre avec infiniment de délicatesse, de retrait, et de désir de connaissance, pour se rapprocher du « sentiment-forêt », du « sentiment-oiseau ».
« L’infime toujours, à sauver, cet infime qui nous sauve, provisoirement. » L’amour du petit est toujours bouleversant quand il est ainsi empreint de reconnaissance envers ce qui, si fragile, garde en nous la beauté et la brièveté de la vie : une brindille, un pétale, une aile…
Conscience de la mort, toujours, et de la responsabilité du vivant envers le vivant autre :
« … et peut-être que je n’écris que pour me rapprocher un peu plus d’« eux », c’est-à-dire de toi, sachant que tu resteras toujours à distance que tu parles « ma » langue ou que tu sois, apparemment, muet. »
Il me semble que c’est la définition même de l’amour.
Isabelle Baladine Howald
Fabienne Raphoz, Parce que l’oiseau, coll. biophilia n°13, éditions Corti, 2018, 192 p. 15€.