Le projet de Comment le Japon est venu à moi : évoquer, par des poèmes en prose, ces premiers souvenirs qui ont façonné l’image du Japon dans la conscience de l'auteur. Il s'agit en effet d'explorer un imaginaire précoce, celui des représentations du Japon chez un enfant puis un adolescent, à partir des années 60, ce « bric-à-brac de souvenirs mêlés de croyances naïves » (p. 65) et de rendre compte de ces premiers liens avec cette culture étrangère, qui allait ultérieurement devenir centrale dans l’existence de Jean-Paul Honoré.
Les souvenirs évoqués relèvent soit de l'expérience personnelle soit du contexte (voire de la doxa) de l'époque. Ils tournent autour de mots (mikado, geisha, yen ou kamikaze), d’objets (les motos japonaises par exemple), de titres de films ou de livres (Le Samouraï), de rencontres. Chaque anecdote est accompagnée d'une expression japonaise écrite en "syllabaire kana".
La lecture du livre est à la fois très agréable et instructive. Elle est placée sous l'exergue d'un superbe haïku de Basho : Allume donc le feu / que je te montre quelque chose / une boule de neige. Le lecteur est placé d'emblée sous le signe du fugace et du paradoxe. Les 52 souvenirs sont construits en une sorte de trajet avec retour au point de départ, une scène d'aéroport qui montre comment l'attente de l'auteur au seuil de son premier voyage au Japon a été déjouée par la réalité : « J'apprendrai bientôt à dissocier ce que je vois de ce que je connais ».
On trouve aussi au fil des textes de subtiles remarques sur la nécessité de défaire, en grandissant, ces amalgames qui ont pu se former dans une conscience enfantine ou adolescente, ici par exemple entre Madame Chrysanthème et Madame Butterfly : « Je me souviens aussi d’avoir mis du temps à désempêtrer Madame Butterfly de Madame Chrysanthème » (p.23) On peut évoquer ce « je me souviens » : « je me souviens de Hiroshima mon Amour quand ce n'était encore pour moi qu'une formule inexplicable et magnifique » (p.24) Il y a donc du « je me souviens » dans ce travail, contrebalancé parfois par un « je ne me rappelle pas », comme si la mémoire était en constant va-et-vient entre passé lointain et présent. Les textes sont brefs, elliptiques, sobres et précis. Belle conclusion : « C'est donc par des chimères que s'est d'abord annoncée en moi ma seconde patrie sentimentale » (p.65)
On retiendra de ce beau livre une réflexion profonde sur la mémoire et sur l’empreinte laissée par ce que chacun a vu et entendu dans son enfance, ces configurations souvent formées à partir de mots, substrats recouverts par les connaissances acquises ultérieurement et souvent perdus de vue. Et cette passionnante confrontation entre l’image qu’on se forme de quelque chose, à distance de l’expérience de cette réalité, et cette réalité. Une invitation pour le lecteur à explorer sa propre mémoire et à découvrir de tels décalages.
Florence Trocmé
Lire des extraits de ce livre
Poète, universitaire et linguiste, Jean-Paul Honoré est né en 1951. Il a enseigné en France et au Japon l'histoire des formes poétiques et l'analyse du discours. Il a résidé de nombreuses années au Japon et y a travaillé en tant qu'attaché linguistique au service culturel de l'Ambassade de France.
On peut aussi préciser que l’auteur est proche de Jacques Jouet et Cécile Riou et participe à leur Projet Poétique Planétaire, qui consiste en l’écriture et l’envoi, chaque jour, d’un poème à un anonyme. Sur ce projet lire cet (Entretien croisé) avec Cécile Riou, Jacques Jouet et Jean-Paul Honoré