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Difficile de spéculer sur ce qu’on n’a pas encore lu.
La réponse de Téhéran à l’offre de coopération des grandes puissances visant à sortir de l’impasse du dossier nucléaire a bel et bien été remise hier, à Bruxelles, « sous forme d’une lettre transmise vers 18h au cabinet de Javier Solana par l’Ambassade d’Iran en personne », selon Cristina Gallach, la porte-parole du chef de la diplomatie de l’Union Européenne.
Mais elle doit être « lue et analysée », avant d’être présentée au grand public. Une prudence compréhensible par les temps qui courent, alors que les rumeurs d’attaque américaine sur Téhéran et la crainte d’un scénario à l’irakienne restent à l’ordre du jour.
Quand on connaît les Iraniens, on peut néanmoins aisément imaginer un texte finement ficelé, truffé d’allusions au prestige de l’Iran, au droit à la science et au rejet de l’impérialisme américain…mais qui ne répond pas spécialement directement aux questions évoquées.
C’est, à en croire l’édition du New York Times d’aujourd’hui, ce qui ressort grosso modo du courrier dont la journaliste Elaine Sciolino a obtenu quelques extraits. D’après ses sources diplomatiques, la réponse iranienne stipule que « le temps de la négociations basée sur une position inégalitaire est révolu », - une allusion aux rancoeurs de Téhéran face à une Amérique perçue comme le grand décideur qui n’en fait qu’à sa tête.
Les Iraniens, rappelons-le, n’ont toujours pas digéré le coup d’Etat anglo-américain (1953) contre le Premier Ministre Mossadegh, un fervent nationaliste, qui avait été à l’origine de la nationalisation du pétrole iranien.
Mais pour revenir à la lettre, elle ne contiendrait, selon Sciolino, aucune référence directe ni à l’enrichissement d’uranium ni à l’offre de pré négociation qui vient avec le paquet de mesures incitatives remis à Téhéran par Javier Solana en juin dernier. La réponse, écrit-elle, se contente de préciser que « l’Iran serait prêt à entamer des négociations compréhensives » avec le représentant diplomatique de l’Union Européenne, et les six puissances mondiales impliquées dans les discussions sur le dossier nucléaire iranien.
Selon la télévision d’Etat iranienne, Javier Solana et Saeed Jalili, le négociateur en chef sur le dossier nucléaire iranien, se seraient, en effet, entendus sur la relance de nouveaux pourparlers d’ici deux semaines lors d’une conversation téléphonique qui précéda, hier, la remise de la lettre.
Mais à Bruxelles, on ne pouvait pas confirmer cette information hier soir. « Ce qui compte, c’est que Javier Solana et Saeed Jalili se soient mis d’accord sur le principe d’un maintien des contacts et qu’une réponse à l’offre des six ait été apportée assez rapidement », précise néanmoins un diplomate européen qui préfère garder l’anonymat.
Le 14 juin dernier, Javier Solana avait remis, au nom des six puissances impliquées dans le dossier nucléaire (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne, Allemagne), un nouveau paquet de mesures incitatives encourageant l’Iran à renoncer à l’enrichissement de son uranium en échange d’une offre de coopération dans les domaines économiques, commerciaux et relevant du nucléaire civile.
Cette offre avait été assortie d’une proposition, discrètement évoquée par le passé, d’ouvrir des pré-négociations pouvant durer jusqu’à six semaines sur la base du principe « freeze for freeze » (« gel contre gel ») suggérant à toutes les parties de s’arrêter où elles en sont. Autrement dit, pas de nouvelles sanctions du côté de l’ONU et pas de mise en service de nouvelles centrifugeuses du côté iranien.
La proposition, qui sous-entend une non obligation à suspendre l’enrichissement de l’uranium, dans une période certes limitée, offre une sortie de secours aux nombreux politiciens iraniens pour lesquels la suspension des activités nucléaires constitue une « ligne rouge » infranchissable.
La réponse de Téhéran mettra-t-elle fin à cinq années de bras-de-fer sans issue entre l’Iran et l’Occident ? Trop tôt pour s’avancer, d’après les connaisseurs du dossier qui n’excluent pas une volonté iranienne de gagner du temps. « Nous privilégions la prudence », confie un diplomate occidental proche du dossier, qui juge important que, dans cette affaire, le dialogue soit maintenu.
La lutte de clan interne qui sévit en Iran pourrait également entraver cette éclaircie diplomatique. Car si tous les acteurs de la classe politique s’accordent sur « le droit inaliénable au nucléaire civil iranien », de nombreuses divergences ont récemment vu le jour sur la façon de gérer ce dossier. Pour les ténors du régime, l’interruption temporaire de l’enrichissement de l’uranium, évoquée discrètement comme une possibilité par certains réformateurs, constitue un sujet « indiscutable ». D’autant plus qu’à leurs yeux, l’interruption temporaire au cours du mandat de Khatami n’a mené à rien.
Même Ali Larijani, l’ancien chef du dossier nucléaire (et actuel Président du Parlement), considéré comme un pragmatique par ses interlocuteurs occidentaux, l’a rappelé il y a quelques jours, lors de l’anniversaire de Press TV, la télévision iranienne en langue anglaise : « A l’époque, les Européens nous ont demandé de suspendre l’enrichissement d’uranium pour quelques semaines, mais dans la pratique la suspension dura plusieurs années. Et après que les Européens n’eurent pas tenu leurs promesses, ils nous ont dit : c’est mieux que l’Iran ne dispose pas du tout de la technologie nucléaire ».
En ajoutant, à l’intention des Etats-Unis : « Le temps du jeu gagnant-perdant est révolu. Il serait préférable que vous acceptiez de jouer gagnant-gagnant, afin que la région puisse jouir de paix et de stabilité ».
D’un point de vue iranien, rappellent les analystes basés à Téhéran, il est en effet difficile pour la République islamique d’accepter l’interruption du programme nucléaire sans offre américaine de garanties sécuritaires. La nouvelle offre des 6 comprend, à cet effet, un passage intéressant à noter, qui stipule que « les Etats doivent s'abstenir du recours à la force ou de la menace du recours à la force et ne pas viser à déstabiliser un autre état ». Mais il est suffisamment vague pour être interprété de différentes façons : le non recours à la force contre Téhéran ou l’engagement iranien à ne pas « rayer Israël de la carte », comme l’a souvent répété le Président Mahmoud Ahmadinejad.
Les jours et les semaines qui viennent seront, en tout cas, certainement décisifs. Il est intéressant de noter que, d’après le site web TABNAK (dirigé par un ancien chef des gardiens de la révolution), Saeed Jalili était en déplacement ce matin à Qom pour y rencontrer deux grands « marjaa » iraniens, l’ayatollah Makarem Shirazi et l’ayatollah Safi Golpayegani.
En Iran, il est fréquent que les acteurs politiques se rendent dans la ville sainte, considéré comme un berceau spirituel du chiisme, pour sonder les éminences religieuses sur des questions aussi sensibles que le nucléaire ou les relations avec les Etats-Unis. Une démarche qui leur garantit une certaine « protection » contre les voix les plus radicales qui pourraient les accuser, en cas de négociation avec l’Occident, de « vendre le pays aux Occidentaux » et de « saper les valeurs de la révolution islamique ».