Le crâne de cheval revêt, dans la peinture flamande, des significations diverses et souvent mal comprises. Petit catalogue d’exemples, en commençant par les cas où la tête de cheval est un élément du paysage.
Un porte-bonheur
La kermesse de la Saint Georges,
Gravure d’après une invention de Brueghel, 1559, Gallica
Fête de village, David Teniers Le Jeune, vers 1650, Museum Rockoxhuis
Dans la culture populaire des Flandres, un crâne de cheval sur un toit est un talisman bénéfique pour protéger la maison, rôle qu’ont conservé jusqu’à nos jours les fers à chevaux.
Le retour d’un pélerinage à saint Antoine
Pieter Aertsen, vers 1555, Musée Royal des Beaux Arts, Bruxelles
Au centre, une boutique ambulante vend de petits drapeaux que les hommes fixent à leur chapeau, et des moulinets pour les enfants. A droite, une marchande d’eau frappe sur un poteau pour attirer l’attention, a côté d’un pot pour les voyageurs et d’un baquet pour les chevaux. Devant, un vieux mendiant allongé sur son manteau vend cinq crânes de chevaux comme porte-bonheur.
Aux faux dévots joyeux, galants et prétentieux (coupant à cheval à travers le ruisseau ou se faisant transporter en charrette avec des musiciens), le mendiant donne une leçon d’humilité et ses crânes porte-bonheur sont autant de memento mori.
Parabole du Bon Pasteur, Nord des Pays-Bas, 1581, Catharijneconvent, Utrecht
Dans cette peinture engagée, le tétragramme (le nom de Dieu YHWH) dans le coin supérieur gauche signale une conviction protestante. A gauche, les vrais croyants écoutent directement le Christ tandis qu’à droite une vielle femme riche s’assoupit, entourée par tout un folklore catholique : moines, pèlerins, prêtres, cardinaux avec une procession qui les suit
Sur le toit, le crâne de cheval bienfaisant, surplombé par de blanche colombes, s’oppose au diacre grotesque qui grimpe vers le Pape, lequel distribue les hosties à la pie et aux corbeaux.
Le toit à porcs
Isaack Van Ostade, deuxième moitié XVIIème, Louvre
Au dessus des porcs vautrés dans la fange, le crâne de cheval prend ici une connotation ironique : quel bonheur peuvent attendre ces créatures intempérantes et vouées à mourir ?
Un symbole de l’hiver
Patinage devant la Porte St. George’s à Antwerp, gravure d’après Brueghel l’ancien, 1558 , Metropolitan Museum, New York (Cliquer pour voir l’ensemble)On voit souvent dans les scènes de patinage de Brueghel des enfants qui se sont fait un traîneau avec une mâchoire de cheval.
Paysage d’hiver avec un canal gelé et des patineurs
Adam van Breen, collection privée
Paysage avec patineurs,
Vinckboons, vers 1610, National Museum, Varsovie
Le crâne de cheval (ici en bas à droite) est en effet un symbole de l’hiver, saison où l’on abattait les chevaux.
Paysage d’hiver avec patineurs, Hendrick Avercamp, vers 1608, Rijkmuseum, Amsterdam, détail
(cliquer pour voir l’ensemble)
On voit en bas à gauche une carcasse fraîchement équarrie, que se partagent un chien et des corbeaux. Le piège à oiseaux, à coté, est imité de Brueghel (voir L’oiseleur).
Scène d’hiver hors des remparts de Kampen
Avercamp , vers 1613–1615, collection privée
Scène sur la glace près d’une brasserie
Avercamp , vers 1615, National Gallery, London
(cliquer pour voir l’ensemble)
Le crâne de cheval signe le centre de ces deux scènes d’hiver.
Les dangers du chemin
Bosch, Le colporteur, vers 1516, revers du triptyque du Chariot de foin, Prado, Madrid
Ce panneau, dont la signification précise est très discutée, oppose clairement la moitié gauche et la moitié droite :
- trois soldats entourent un voyageur pour le détrousser, un couple danse au son de la cornemuse ;
- un chien de garde aboie, des moutons paissent ;
- deux oiseaux noirs ont décharné une carcasse ; un héron blanc boit l’eau d’une mare limpide, dans laquelle nage un canard.
L’avenir du vagabond n’est pas clair : va-t-il traverser le pont, ou le faire s’écrouler, comme le suggère la fissure ?
Paysage avec voyageurs et paysans sur un chemin
Jan Brueghel l’Ancien, 1610, Collection privée
Un siècle après Bosch, l’intérêt ne se porte du tout sur un message symbolique à déchiffrer, mais sur le pittoresque d’une scène campagnarde et le rendu savant du paysage. Reste qu’il subsiste dans ce tableau une trace de la signification du squelette de cheval comme panneau d’avertissement : les riches se croisent sur le chemin, en carrioles ou à cheval, jouant du fouet ou du fusil ; tandis que les pauvres vont et viennent sur les bas-côtés, se causent et s’asseyent en toute sécurité.
Paysage avec une embuscade, Jan Brueghel, vers 1610, Memphis Brooks Museum of Art. Paysage panoramique avec une charrette et des voyageurs sur un chemin, Jan Brueghel, 1612 coll privée
Dans ses paysages de série, Brughel remploie à plusieurs reprises la symbolique facile du crâne de cheval sur le chemin, comme une sorte de signature visuelle.
Paysage de rivière avec des pêcheurs près de Kampen, Hendrick Avercamp, 1620-25, Fondation Custodia, Paris Paysage avec des cosaques demandant leur direction à un moine, Dirk Maas, fin XVIIème, collection privée
Comme une épave de voiture en bord de route, le crâne de cheval est un élément familier de la campagne, où la mort fait partie du paysage :
- à gauche un gibet avec son couple pendu fait une sorte de contrepoint macabre aux pêcheurs qui « pendent » leurs appâts ;
- à droite des cavaliers renseignés par le moine rebroussent chemin, évitant dans doute le destin tragique que suggère la direction du crâne.
La fin du voyage
L’ermite
Gerrit Dou, 1670, National Gallery of Arts, Washington
Comme le montre le crâne de sa monture morte, l’ermite a terminé son voyage terrestre. Il a accroché sa lanterne, posé sa malle de vannerie et sa gourde sous un tronc d’olivier sec, mais dont le feuillage repousse, promesse d’une eau sous les chardons et d’une nouvelle vie.
Ermite écrivant
Dominicus van Tol, vers 1660-70
Le crâne de cheval et l’arbre morts, fermant le tableau sur sa gauche, signifient là encore la fin du voyage sur terre. De plus, dans cette composition resserrée, le couple crâne/arbre fait pendant au couple livre/gourde, retrouvant le symbolisme de l’ignorance s’opposant à la soif de connaissance.
Ermite avec un grand livre
Anonyme, XVIIème siècle, Agnes Etherington Art Centre, Queen’s University, Kingston.
Dans cette composition marquée par le gigantisme, le crâne de cheval a rejoint le livre fermé (la lecture impossible), pour compléter le crâne et le livre dans l’ombre (la lecture terminée) face à l’ermite et à son livre ouvert.