L'histoire des hommes commence il y a à peu près six mille ans, à la fin de ce qu'on appelle par commodité la préhistoire, que d'aucuns d'ailleurs estiment un peu moins lointaine. L'histoire fictive que raconte Didier Burkhalter se situe aux deux extrémités de cette période, qui correspond plus ou moins au calendrier hébraïque.
Avant l'histoire on ne connaît pas grand chose des hommes sinon en théorie et ce n'est certainement pas fortuit que l'auteur ait voulu évoquer dans son livre le passé connu le plus lointain et l'avenir le plus proche, où ses prédictions ne risquent pas d'être contredites, parce que les prémices en sont déjà sous les yeux.
Le récit de Là où lac et montagne se parlent se passe en effet tantôt aux origines historiques, tantôt au cours des dernières décennies; d'une part de 3815 av. J.-C. à 3775 av. J.-C., de l'autre de 1945 à 2025. Comme le titre l'indique déjà, il s'agit en somme de concilier des contraires dans l'espace et des opposés dans le temps.
Si Didier Burkhalter a de l'imagination, elle repose tout de même sur des éléments bien réels, si bien que le parallèle entre les deux époques est tout à fait crédible. Il en souligne bien sûr les différences, mais il en souligne aussi les points communs, tant il est vrai que l'histoire des hommes est à la fois permanence et évolution.
Le propos de l'auteur est manifestement de vouloir toujours que les êtres et les choses se parlent et son passé de diplomate n'est pas étranger à cette volonté tenace de trouver des terrains et des paroles d'entente. Il attribue ainsi, en 1965, à l'un de ses personnages, une façon de voir le monde qui lui ressemble, pétrie de cet idéal:
Il attendra également, avec angélisme, que Madeleine revienne, ses démons rafraîchis. Il attendra toute sa vie, qu'elle comprenne qu'il existe un secret simple pour surmonter le temps qui passe, en accepter les rides qui progressent avec insistance, apprivoiser les douleurs qui l'accompagnent, comme le fait un manteau sans âge sur des épaules autrefois si robustes:
l'amour de deux êtres, de deux différences qui se marient, de deux couleurs se mêlant pour mieux se retrouver en se perdant; la rencontre de l'eau et de la lave, du lac et de la montagne, l'un prêt à calmement rafraîchir l'autre après qu'elle l'a réchauffé de ses caresses brûlantes.
Dans ce livre, où le récit prend souvent des tours poétiques, il y a une volonté certaine de dépassement: quand l'histoire est triste à en mourir, l'auteur n'oublie pas mais incite à ne pas oublier non plus les voies lumineuses qui permettent d'éviter qu'elle ne se répète et, quand elle s'envole de belle manière, il l'écrit résolument pour que ce vol perdure.
Francis Richard
Là où lac et montagne se parlent, Didier Burkhalter, 128 pages, L'Aire
Livre précédent:
Enfance de Terre (2017)