Petite mise en contexte : L’auteur de Beata Beatrix, le peintre Dante Gabriel Rossetti (1828-1882), est un « préraphaélite ». C’est-à-dire qu’il fait partie du groupe d’artistes du même nom, créé en 1848 au Royaume-Uni, qui revendique l’art « d’avant le peintre Raphaël » (1483-1520) (« pré-raphaélite », capicce ?). En effet, leur dada c’est l’art d’avant la période de la Renaissance, où, selon eux, la morale et la beauté règnent. Car ce XIXème siècle où ils évoluent, avec l’industrialisation qui accélère tout, c’est un peu la foire à la saucisse. Ils s’inspirent ainsi de sujets légendaires, bibliques ou historiques pour t’en mettre plein les yeux pour élever l’âme et l’esprit.
Une jeune femme les yeux mis-clos, accueille au creux de ses bras une fleur apportée par un oiseau au plumage flamboyant. Rien à voir avec le pigeon de ton quartier, celui-ci est coiffé l’air de rien d’une petite auréole. Porte-t-il en lui la grâce divine qui touche la jeune femme ? L’histoire est un chouilla plus dramatique …
Qui est la jeune femme peinte ?
Elizabeth Siddal :
Beata Beatrix, commencé par Rossetti en 1864, représente l’épouse de ce dernier, Elizabeth Siddal. Sauf qu’en 1870, lorsqu’il achève cette peinture, la jeune femme n’est plus très fraîche puisqu’elle est décédée depuis huit ans ! Rossetti s’est ainsi servi des nombreux dessins qu’il réalisa de son épouse pour peindre ce portrait.
Elizabeth Siddal, Anonyme, v. 1860Elizabeth n’eut pas une vie très rose… Elle accoucha d’une petite fille morte-née. Dévastée, elle tente d’échapper à sa dépression en prenant régulièrement du laudanum dont l’un des composants est la graine de pavot. Et c’est cette même fleur que le piaf, converti en dealer, lui apporte dans ce tableau ! Car Elizabeth aurait un peu abusé de cette drogue et se serait ainsi suicidée …
L’oiseau est en réalité une colombe (qui a un peu forcé sur la teinture rouge, je vous l’accorde) puisque Rossetti surnommait son aimée « ma colombe ». Pas terrible, mais c’est toujours mieux que « ma pintade ». Elle symbolise aussi le Saint Esprit.
Rossetti, qui ne s’est clairement pas remis de la disparition de son épouse, exécute donc ce portrait posthume. Et il choisit d’incarner Elizabeth en « Beatrice Portinari »…
Beatrice Portinari :
C’est la jeune femme qui, quelques siècles auparavant, fit tourner la tête du grand écrivain Dante Alighieri (1265-1321). Il lui réserva une place de choix dans ses écrits, notamment dans sa célèbre Divine Comédie et dans La Vita Nuova. L’écrivain s’est quand même bien enflammé du slip puisqu’il l’aurait croisée seulement deux fois !
Dante Gabriel Rossetti se rêve en Dante Alighieri :
Et alors, quel rapport avec la choucroute ? Premièrement, Rossetti, en grand fan de Dante Alighieri, a piqué le prénom de ce dernier pour en faire le sien. Et dans ce tableau, il continue à s’identifier à l’écrivain en établissant un parallèle entre le couple que lui-même formait avec Elizabeth et celui de Dante-Beatrice. Car Dante a également pris cher suite à la mort de sa belle italienne, mariée à un autre et décédée à l’âge de 24 ans.
C’est pourquoi on retrouve l’écrivain dans l’arrière-plan du tableau : c’est le gars tapi dans l’ombre dans le fond à droite (dernière porte au fond du couloir). Et cette femme à gauche en robe rouge ? C’est tout simplement l’incarnation de l’amour, tenant au creux de sa main une flamme qui symbolise la vie de Beatrice (et d’Elizabeth par la même occasion). En ce qui concerne le cadran solaire, il indiquerait l’heure et le jour de la mort de Beatrice : le 9 juin 1290 à 9h. Et certains l’associeraient à un kiki en érection pointé vers le visage de Beatrice/Elizabeth. Les goûts et les couleurs, tout ça tout ça.
Rossetti s’inspira de La Vita Nuova où Dante Alighieri raconte son deuil impossible (où il en chie comme jamais). Mais ce portrait peint n’est pas une simple métaphore de la mort d’Elizabeth. Rossetti écrit ainsi à son ami William Morris :
(The picture is) not as a representation of the incident of the death of Beatrice, but as an ideal of the subject, symbolized by a trance or sudden spiritual transfiguration.
C’est à dire : « (Le tableau n’est) non pas la représentation du moment de la mort de Beatrice, mais celle de son idéal, symbolisé par une transe ou une transfiguration spirituelle soudaine. »
Rossetti est tout aussi émotionné que Dante, mais bon, faut intellectualiser tout ça pour pas non plus passer pour un gros miskine. En réalité, Rossetti préféra imaginer son épouse de l’autre côté, ayant enfin accédé à une paix intérieure …
Pour ceux qui sont un peu aux fraises, voici un résumé avec des petits gribouillis de mon cru :
Principale source d’informations : Site du Tate Museum où est conservée l’oeuvre
- (Dante ou le pervers du pont Santa Trinita à Florence) Dante and Beatrice, Henry Holiday, 1883