Avant de gratouiller l’échine d’un cochon ou de capturer une licorne, je me permets de faire une petite mise au point :
Le Moyen Âge, c’est quoi ?
Le Moyen Âge c’est trèèèès long, ça s’étend du V ème siècle (chute du dernier empereur romain d’Occident, Théodose le Grand) jusqu’à la fin du XIV ème siècle (1492, Colomb et ses problèmes de boussole), soit près de 1 000 ans !
Allez, avoue que si je te dis « Moyen Âge » tu as tendance à penser en premier lieu : âge sombre, guerres, inquisition, maladies, etc
Ce n’est pas l’appellation » moyen âge » qui va te faire penser le contraire… C’est un peu tiedasse non ? Avant on a la grande et imposante Antiquité, et après, la RENAISSANCE. Donc au milieu, 1 000 ans de médiocrité ?
Mais que nenni, mettons un peu d’eau dans notre vinasse !
Comme Larousse le dit si bien, cette époque se caractérise par :
– Une économie à dominante agricole
– Une société cloisonnée entre une noblesse militaire, qui possède la terre, et une classe paysanne asservie
– Un système de pensée fondé sur la foi religieuse et défini par l’Église chrétienne.
Et on peut diviser le Moyen Âge en 3 périodes :
1) Le Haut Moyen Âge : du V ème siècle à l’an mille => chute de l’empire romain, expansion du christianisme, c’est chaud les marrons
2) L’âge féodal : de l’an mille au XIII ème siècle => essor économique dans toute l’Europe, progrès techniques, épanouissement des domaines intellectuels et artistiques.
3) Le bas Moyen Âge : du XIV ème au XV ème siècle => période la plus sombre : Grande Peste, famines, guerres, c’est…. la mierda.
Voilà, après ce rappel passé au rotofil, passons à notre sujet :
Qu’est ce qu’un « Bestiaire » ?
Un bestiaire au Moyen Âge est un manuscrit illustré qui enseigne la signification des animaux. C’est à dire que tu ne vas pas apprendre que les crottes d’un renard s’appellent des laissées ou alors qu’il jappe lorsqu’il est en rut, mais plutôt que c’est un être qui va constamment tenter de te la faire à l’envers.
Les bestiaires sont des sortes de catalogues dans lesquels on cherche l’inspiration pour élaborer des prêches, des sculptures, des enluminures, des contes, des fables…
À cette époque là, les animaux sont partout !
Quels sont les animaux sur le podium de la honte ?
Le singe
« Malin comme un singe ». Le singe est réputé pour être « malin » mais « Le Malin » est un autre nom du diable. Donc le singe est diabolique. FIN DU GAME.
Au Moyen Âge on se méfie des singes. On ne pense pas qu’ils ressemblent à l’humain mais qu’ils l’imitent pour chercher à s’élever au-dessus de leur condition de macaque. Et ça, ce n’est pas bien DU TOUT. À cette époque, chacun doit rester à sa place. Dieu a voulu que tu sois berger et que tu le restes. Ne te reconvertis alors pas en comptable, car en plus, s’enrichir c’est mal vu ! Donc les singes qui imitent les humains, à la poubelle.
Ces petits dessins ci-dessus se trouvent dans les marges de manuscrits. Appelés «babouineries » ou encore « drôleries », ils n’ont pas encore livré tous leurs secrets. On suppose qu’ils rappellent au lecteur ce qui l’attend s’il ne reste pas dans le droit chemin tracé par Dieu : se comporter comme un animal et mettre le souk.
Le chien et le chat
Au début du Moyen Âge, le Milou ou le Mistigri du coin avaient plus tendance à se prendre un coup de fourche plutôt que de se faire allègrement caresser.
En effet, les chiens étaient perçus comme des animaux pas très propres et comme des chauds du slip (c’est sale aussi). Heureusement, ils étaient très appréciés pour la chasse mais aussi pour garder des troupeaux et des demeures.
Alors que le chat… 1) Il voit dans le noir, ce n’est pas normal, 2) il dort le jour et pas la nuit, 3) à ce qui paraît, il ferait des rituels de sorcellerie (pas safe non plus).
Et au XIII ème siècle, c’est le pompon sur la Garonne, une bulle papale décrète que les chats sont des serviteurs du Diable. Un siècle plus tard, un autre pape monte sur ses grands chevaux et publie une bulle stipulant qu’il faut brûler les chats avec les sorcières.
Heureusement pour les chats, la Grande Peste va décimer près de la moitié des humains en Europe au milieu du XIV ème siècle. Et quoi de mieux qu’un chat pour éliminer les rats porteurs de maladies ? Petit à petit il est dédiabolisé et commence à être accepté dans les foyers !
A gauche : chat = gros branlos (Heures de Charlotte de Savoy, Paris, vers 1420-1425,NY, Morgan Library & Museum, MS M.1004, fol. 172r), à droite : chat = utile (Heures à l’usage des Antonins, Savoie, 1450_1500, MS.0084, f.047,84)On se pose pas mal de questions au sujet des animaux : vont-ils au Paradis ? Est-ce le même paradis que celui des humains ? Sont-ils conscients ?
Et là, on part en roue libre : comme le doute taraude ces bonnes gens, si des animaux commettent un crime, ils seront jugés, comme des êtres humains ! Au cas où ils auraient manigancé leurs méfaits et pourraient ensuite récidiver… Ces procès ont surtout eu lieu du XIII ème au XVI ème siècle, période où l’Église devient un tribunal à part entière.
Ce qui nous mène à l’animal le plus détesté au Moyen Âge de tous les animaux détestés, de la terre entière around the world is mine :
LE GROS PORC
Un cochon ça bouffe tout et la « gourmandise » c’est péché. Et quand je dis que ça bouffe tout, ça va jusqu’aux cadavres dans les cimetières… Car à cette époque, les cochons « divaguent ». C’est-à-dire qu’ils traînent dans les campagnes, les rues, faisant offices de camions-poubelles, portant parfois une petite clochette autour du cou.
Et ce qui devait arriver, arriva : ces jambonneaux-racailles vont régulièrement provoquer des accidents, voire des meurtres…
Ainsi, en 1386, eut lieu le procès d’une truie à Falaise, en Normandie. Accusée d’avoir tué et à moitié bouffé un nourrisson, ce fut un véritable festival. Devant une foule composée d’humains et de cochons (faut montrer l’exemple), elle fût habillée avec des vêtements d’homme, puis traînée par une jument dans la ville. Ensuite un bourreau lui coupa le groin et lui tailla une cuisse, les mêmes endroits qu’elle avait attaqués sur le bébé. On lui mit un masque grotesque et on la pendit à une fourche jusqu’à que mort s’en suive. Elle refait un tour traînée par la jument, et hop les restes sont balancés au feu.
9 fois sur 10 c’était des porcs qui étaient jugés. Mais il arrivait que des chenilles ou des sauterelles soient excommuniées par des évêques ! Par exemple, suite à une invasion qui aurait ravagé des champs cultivés, un aller direct vers l’Enfer était offert à ces nuisibles.
Côté Enfer, le porc n’est pas en reste. Avec son museau tout le temps collé au sol pour chercher un truc à avaler, il est tourné vers le monde souterrain et donc vers l’antre du Diable…
Livre d’Heures, Paris, vers 1460, M. 282L’image ci-dessus est encore une babouinerie. À ton avis, qu’est ce qui cloche ? Et bien TOUT !
1) Un singe, 2) qui porte des vêtements, 3) prêt à lancer une pierre et donc à blesser quelqu’un ce maboule, 4) assis sur UN PORC NOIR, 5) et à l’envers svp ! Car au Moyen Âge, tout ce qui est contraire à l’ordre des choses (comme le chat qui dort le jour), c’est de la sorcellerie. Donc chevaucher à l’envers un porc (ou autre) c’est révéler qu’on est un suppôt de Satan. Et beh là, on a décroché le gros lot.
D’autres animaux comme le sanglier, l’ours, le renard ont également une place de choix sur ce podium de la honte. Mais je souhaite que tu lises jusqu’au bout cet article. Sinon je viendrai à dos de cochon te lancer des petits cailloux.
Quels sont les animaux favoris de Dieu ?
Le cerf
Avec ses bois dressés vers le ciel, le cerf fonctionne comme une parabole : il capte la lumière divine et agit ainsi comme un médiateur entre le ciel et la terre. En plus, comme chaque année il perd ses bois qui repoussent ensuite, il est un symbole de fécondité mais surtout de résurrection. Il est donc étroitement lié à la figure du Christ.
Le lion
Je vais quand même faire un petit drift sur la symbolique de l’ours avant de te parler de celle du lion. L’ours, avant l’arrivée du christianisme, était considéré comme le roi des animaux. Il était un symbole de force, de vigueur et de courage. Mais quand les crucifix ont déboulé, les païens et leurs croyances ont été traqués. C’était la lutte entre une Europe germanique et celtique (coeur sur l’ours) et l’Europe latine (coeur sur le lion).
L’ours est bestial, brutal et ne peut décemment pas être associé au pouvoir. Il est donc diabolisé, puis tourné en ridicule (bête de foire) et on fait place au lion !
Sacré nouveau roi des animaux, le lion apparaît dans les représentations de l’arche de Noé la grande majorité du temps.
- Arche de Noé, Les Chroniques de Burgues, France, avant 1407, BNF
Dans la tradition orientale, le lion est fort et courageux. Ces qualités ne vont pas tarder à être directement mises en relations avec le Christ dans les bestiaires. Comme je me demande parfois si les théologiens n’avaient pas un peu abusé de la binouse, je vous cite un seul exemple : « le lion épargne un adversaire vaincu = le Seigneur qui dans sa miséricorde épargne le pécheur repenti. » (Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental).
BREF au Moyen Âge on aimait le lion et ses représentations se multiplient, notamment sur les blasons (il apparaît sur 15% d’entre eux !).
La licorne
La licorne est au Moyen Âge réputée pour être farouche et rapide. On attribue à sa corne des vertus médicinales. Comme tu t’en doutes, il a fallu trouver un substitut pour faire croire à son existence : c’est le narval et sa corne qui ont pris cher.
Pour capturer la licorne, les bestiaires suggéraient de placer une jeune fille vierge dans une clairière et de patienter en se cachant. Et là, si la cervoise avait coulé à flots (car attendre une licorne… c’est long) la farouche licorne pouvait surgir pour blottir sa tête contre la jeune fille torse nu. Et PAF tu dézingues la bestiole.
Mais si tu la captures sans la tuer, en captivité elle se laisserait mourir.
Au XII ème siècle, nos chers théologiens reviennent alors au galop et en concluent : comme le Christ sur la croix ! Et comme le Christ, elle se réfugie au sein d’une Vierge. Emballé, c’est pesé.
- Physiologus Cambrai, vers 1270-1275 Douai, Bibliothèque municipale, ms. 711, fol. 4
Voilà, la petite sélection des animaux au Moyen Âge est terminée, sur ce je mets les gaz sur mon arche (pas du vioque de Noé, il est à moi celui là) et vous dis à très bientôt !
Pour conclure, petit diaporama wtf de babouineries de choix :
Cliquer pour visualiser le diaporama.Sources :
– Pastoureau Michel, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Éditions du Seuil, Paris, 2014
– Duby Georges, Art et société au Moyen Âge, Éditions du Seuil, Paris, 1997
– Exposition de la BNF sur le bestiaire au Moyen Âge
– Pastoureau Michel sur les bestiaires au Moyen Âge