Aujourd’hui on va partir dans les rêves et l’imaginaire d’un artiste symboliste : Fernand Khnopff. Et il y a un endroit où l’on peut complètement s’immerger dedans… ça tombe bien, j’ai les pass VIP, je vais t’emmener y faire un tour !
Qu’est ce que le Symbolisme ?
On considère que le Symbolisme est apparu en 1885, date à laquelle des premiers écrits définissant le mouvement ont été publiés, dont un manifeste écrit par le poète Jean Moréas. Mais il faut garder à l’esprit que certains aspects du romantisme et du préraphaélisme avaient posé les premiers jalons des décennies auparavant.
Né dans le milieu littéraire, certains artistes vont néanmoins rapidement mettre le doigt dans la prise ! Le symbolisme s’étend alors à d’autres disciplines : peinture, sculpture, musique et poésie.
Mais qu’est-ce qui enjaille les adhérents à ce mouvement ? Comme je te l’ai dit dans mon précédent article, au XIX ème, avec l’industrialisation, la société change très (trop) rapidement. Face à cette modernité envahissante, les symbolistes ont envie de rêver un peu. De plus, des peintres comme Gustave Courbet, produisent des toiles bien trop réalistes, montrant d’après les symbolistes, la laideur de leur époque. Et ça, ce n’est pas très Glam.
On oublie donc la réalité : un objet n’est plus représenté comme un simple objet mais il devient un signe, un symbole. C’est à dire que les artistes symbolistes piochent des éléments dans le monde réel, pour, en les assemblant, donner une réalité autre. Les rêves des symbolistes se déploient sur leurs toiles, emportant le spectateur dans leur imaginaire.
Le symbolisme prospère principalement dans 4 pays européens :
– La France : Gustave Moreau, Pierre Puvis de Chavannes, Odilon Redon
– La Belgique : Félicien Rops, Jean Delville, Fernand Khnopff
– L’Allemagne : Franz Von Stuck
– L’Autriche : Alfons Mucha, Gustave Klimt, Max Klinger
À présent passons à Fernand Khnopff et à l’endroit qu’il a construit à son image…
Fernand Khnopff (1858-1921)
Je t’emmène faire un bond dans le temps pour visiter sa maison-atelier, construite en 1902, avenue des Courses à Bruxelles. Conçue comme une forteresse contenant son imaginaire, elle coupe Fernand du monde extérieur pour qu’il se consacre entièrement à son art.
Approchons-nous près de la porte d’entrée. Lève les yeux et lis le frontispice : « PASSÉ… FUTUR » OK. Comme tu l’as compris, va falloir open your mind durant cette visite.
Allons, franchissons la porte mon ami, tu vas t’en prendre plein les mirettes, je te le promets !
Ah, un majordome nous ouvre et nous invite à entrer dans une antichambre aux murs entièrement blancs. Point de toutou hargneux qui déboule mais un paon empaillé qui nous toise. À côté de lui, une colonne bleue, au sommet de laquelle une statuette nous intime d’un geste de la fermer faire silence. Il y a également ce tableau, L’Âme bleue, accroché :
Toute la maison est conçue comme un parcours que les visiteurs doivent respecter. Après avoir franchi un voile de soie bleue fanée, nous avançons dans le couloir de l’entrée et admirons des vitraux bleus qui se reflètent sur les parois faites de stuc brillant. Une nouvelle inscription sur un mur : « Tout vient à point à qui sait attendre ». Fernand, qui a mis toute son énergie à concevoir ce lieu, adhère à 100% à cette maxime.
Sur ta gauche, un salon blanc où seuls trônent un fauteuil et une table. Pourtant, cette pièce lui sert également de salle à manger. Pourquoi ce minimalisme ? Car Fernand a conçu cette maison comme le reflet de sa personnalité d’artiste plutôt qu’un lieu de vie « classique ».
Au bout du couloir, nous sommes face à un escalier de marbre blanc. Arrivés en haut, tiens toi bien, on va entrer directement dans le lard de l’énergumène. Nous sommes dans son antre, sa tanière, son atelier de peinture ! Mais attention, ne te précipite pas, ne vois-tu pas ce cordon doré qui nous barre le passage ? Le domestique nous explique qu’il est nécessaire que l’on se recueille un peu avant d’entrer dans ce lieu sacré. Après que l’on ait chacun pensé bien fort combien nous sommes chanceux d’être ici, le cordon tombe et nous laisse entrer.
Face à toi, trône un autel dédié à Hypnos, dieu du sommeil et frère du dieu de la mort, Thanatos. La tête sculptée d’Hypnos, surplombe le dessus d’une armoire en verre où sont gravés les mots suivants : On a que soi. Oui car Fernand ne compte que sur lui-même et son talent. Tu remarqueras que cette référence très personnelle se retrouve sur un autel… De plus, cette maison que nous visitons, il se plaît à la nommer « le Temple du moi ».
Tu te souviens du tableau dans l’entrée ? Hypnos y est aussi présent, comme dans d’autres toiles de Fernand, car il lui voue un culte particulier. Pourquoi ? Car notre homme a déclaré que « le sommeil est la chose la plus importante dans la vie ». Fernand passe donc sa vie au lit comme un gros tas ? Point du tout ! Lorsqu’il peint ces représentations d’Hypnos, dans les années 1890, le monde occidental s’enthousiasme pour la pratique du spiritisme, pour l’hypnose, ainsi que pour les rêves et l’inconscient, avant les grandes théories de Freud (dès 1896). Naturellement, en bon symboliste, Fernand y est très sensible et a donc eut un petit crush sur Hypnos.
Et là, tu remarques l’animal… Au centre de la pièce, au milieu d’un cercle d’or tracé au sol, monsieur Khnopff se met en scène en train de peindre sa nouvelle toile. Au-dessus de lui, dessinée à même le plafond, la constellation de la Vierge (son signe astrologique) est peinte à l’or dans un autre cercle. Ainsi, Fernand sacralise sa création, comme lors d’un rituel de magie où le pratiquant exerce son art au sein d’un cercle tracé. L’artiste, qui fait pleinement partie du symbolisme, se met donc en scène pour travailler son personnage spirituel et mystique. Et si t’y pipes rien, c’est normal, tu ne fais pas partie de ces artistes-élus.
L’atelier est décoré avec goût : sol en mosaïque blanche, murs peints de blanc, bleu et noir, des vitraux qui se reflètent sur le sol… Et on peut y admirer moult tableaux et objets d’art, dont une tortue en bronze. Fernand n’aime pas les animaux, pourtant il acheta cette oeuvre. Rapidement énervé par la présence de la bête, il l’aurait fichue dans son jardin car il la trouvait « trop bruyante ». Mais quelques jours plus tard, il la retrouva « morte ». Fernand nous dit qu’après l’avoir ramenée à l’intérieur, il la nommée « Mon remords ». Voilà voilàààà. Je crois qu’on va gentiment sortir de cet atelier pour continuer la visite.
Nous allons emprunter le couloir qui nous fait déboucher sur « la chambre bleue ». Là, je te préviens, le malaise va un chouilla s’accentuer. Dans cette pièce sont accrochés plusieurs tableaux que Fernand affectionne, dont un en particulier. C’est un portrait de sa soeur Marguerite.
Portrait de Marguerite, 1887, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de BruxellesJusqu’à ce que cette dernière se marie à l’âge de 23 ans en 1890, notre peintre illuminé la peindra des dizaines de fois, virant à l’obsession. La jeune femme incarne tout simplement son idéal de la beauté qu’il se plaît à transformer sur ses toiles, jusqu’à lui donner une apparence androgyne. Une sorte de fusion masculin/féminin ou frère et soeur…
Ici, vêtue d’une longue robe blanche, le col montant, bien serré, elle incarne une jeune femme prude et réservée, femme parfaite au XIX ème siècle. La porte close derrière elle, les longs gants, ainsi que son regard fuyant, renforcent l’impression qu’elle est inaccessible.
Fernand aime se recueillir dans cette chambre bleue pour se reposer et pour partir en vrille réfléchir. Devant le tableau accroché très bas pour mieux manifester sa présence, un vase de fleurs et la raquette de tennis de sa soeur sont déposés devant, comme sur un autel. À la mort de son frère en 1921, cette dernière récupèrera son portrait et l’installera chez elle dans une autre « chambre bleue » créée à cet effet. Je te laisse tirer tes propres conclusions, le doute plane toujours chez les spécialistes.
On retrouve la raquette dans le pastel Memories où Fernand créa un groupe de clones de Marguerite. En s’aidant de plusieurs photographies qu’il a réalisées d’elle, le peintre l’a représentée sept fois sous différents angles :
Morcelée, presque désincarnée, sa soeur envahit l’oeuvre comme elle possède l’esprit (« artistique », soyons sympa) de Fernand.
Asseyons nous sur cette banquette bleue, je vais te parler d’une toile que je n’aime pas, mais alors vraiment pas. C’est L’art (ou Les caresses ou Le Sphinx). Je te laisse juger par toi-même. Je l’ai vue en vrai au musée des Beaux-Arts de Bruxelles et j’en garde un souvenir impérissable.
Mais qu’est ce que c’est que ce corps de guépard tout raide comme s’il avait le cul empaillé, greffé à cette tête mielleuse ?! Ce tableau a un truc qui cloche, mais sévère. Et je te le donne en mille : c’est la soeur chérie de Khnopff qui lui a servi de modèle pour la tête de cette créature du diable. Et Oedipe contre qui elle se colle ? Ce serait le visage de ce sacripant de Fernand pardi !
Bon malgré tout la symbolique de cette toile est, pour le coup, très stylée. Nous avons donc Oedipe et le Sphinx. Ici, ce dernier n’a pas l’air enclin à dévorer le jeune homme si celui-ci ne répond pas correctement à ses énigmes. Bien au contraire ! Il est plus proche d’un chaton en manque d’affection que d’un guépard sanguinaire. Car ici, Khnopff a voulu unir ce qui, selon lui (et selon 99.9% des hommes au XIXème), caractérise les femmes : la douceur et la violence (sexuelle). Oedipe regarde droit devant lui. Fernand a ainsi représenté le héros qui accepte cette affection mais en détourne le regard, s’éloignant ainsi de la bestialité (et du sexe, c’est sale et pas spirituel). D’ailleurs, jusqu’à que sa soeur se marie, Fernand resta célibataire se consacrant à son art et à son obsession fraternelle.
Tu peux remarquer dans le fond du tableau deux colonnes. Serait-ce celles du temple de Salomon ? Si oui, cela appuierait cet idée de passage vers un état spirituel, loin des vicissitudes de ce monde, réservé à quelques initiés.
Tout comme cette maison où nous nous trouvons : rares étaient les visiteurs que Fernand autorisait à y pénétrer. Même sa seconde épouse (avec qui il habitait une autre maison tout près) avait pour interdiction d’y mettre les pieds ! Pourtant, notre mystique se plaisait à autoriser la presse à prendre des photos et à publier des articles très descriptifs… Besoin de reconnaissance ? D’intriguer ? De faire encore le cake ?
Malheureusement, c’est seulement grâce à ces articles du début du XX ème siècle que j’ai pu te faire visiter cette demeure. Vingt ans après la mort de Fernand, au début des années 40, son temple-égo disparu à jamais, détruit par des tractopelles…
Dans un prochain article, je te parlerai de la relation très spéciale que Fernand entretenait avec un homme qui se présentait comme un mage et un descendant d’un roi babylonien !
Pour conclure, un mini diaporama (non exhaustif) d’autres oeuvres où Fernand a pris sa soeur comme modèle :
Cliquer pour visualiser le diaporama.Sources :
Le Symbolisme, Edward Lucie Smith, L’univers de l’art, 1999
La chair, la mort et le diable, Mario Praz, Gallimard, 1999
Site très complet : https://bruges-la-morte.net