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(Note de lecture) Fabienne Courtade," Corps tranquille étendu", par Ludovic Degroote

Par Florence Trocmé

Fabienne Courtade  corps tranquille étenduCorps tranquille étendu est un livre du morcellement, de l’émiettement : il est difficile pour cette raison d’en proposer une vision synthétique. S’ouvrant sur la disparition d’un ami proche, le poème traverse une réalité fragmentée, celle de la ville, de ses bruits, des personnes qu’on y croise, des souvenirs qui y sont dissimulés, ou d’un coin d’enfance qui remonte. Il n’y a pas de refus de ce qui se présente à la vie mais la recherche de ce qui le rend supportable : « Je nage sous la surface / C’est la seule solution » (p. 95). Sorte de flux rompu, comme sont les états de conscience, seul le poème est à même si ce n’est d’assembler du moins de rassembler par juxtaposition ces moments dispersés dont on ne sait pas bien s’ils peuvent tenir en nous de façon cohérente - « sur les bras et les jambes // quelque chose de nous // laisse en morceaux / ou jamais réuni // flotte encore dans l’air / et les sons distordus » (p. 75). L’écriture elle-même, resserrée, lapidaire par moments, mais nourrie de récurrences, se fabrique avec des vers rapides, déliés, coupés de blancs ou de variations typographiques qui séparent. La mort, le corps – parfois souffrant –, les papiers – collés ou découpés, l’allusion à Perros n’est pas dissimulée – qui témoignent de lettres ou de mots échangés avec l’ami ou avec soi-même, le souvenir d’un banc qui a accueilli des conversations privilégiées, les SDF au pied des immeubles, l’avenue, autant d’espaces apparemment segmentés qui dessineraient une sorte de labyrinthe. « On passe d’un monde à l’autre / Sans le savoir / simplement en marchant dans un couloir » (p. 188). Monde plus disloqué que protéiforme dont le poème prend acte, car l’écriture est moins dans la désolation ou l’angoisse que dans le constat : par bribes descriptives ou narratives, une sorte d’archipel mal continu se dessine à mesure des pages, dans lequel la pudeur place à distance la poète. « Comment m’as-tu retrouvée », cette phrase revient à plusieurs reprises et son « tu » peut autant désigner l’ami disparu que le lecteur ou l’auteure elle-même. Au fond, la poésie de Fabienne Courtade est un lieu de résistance, parce qu’elle ne cède pas à un lyrisme convenu, et parce qu’elle a cette exigence de dire la réalité dans ce qu’elle a de complexe et d’insaisissable.
Ludovic Degroote
Fabienne Courtade, Corps tranquille étendu, Flammarion, 2017,  220 p., 17 €.
 


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