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Les apiculteurs avaient la désagréable impression que les gouvernements successifs cherchaient à incriminer leurs pratiques et les maladies des abeilles pour expliquer les mortalités massives et aigues constatées en France depuis l'apparition des néonicotinoïdes dans les années 1990.
C'est désormais plus qu'une impression. Un bilan officiel publié il y a un an estime que les maladies des abeilles sont la première cause de mortalité et les mauvaises pratiques des apiculteurs la seconde. Les pesticides sont quasiment hors de cause.
Comment une telle conclusion est-elle possible ? L'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) s'est penchée sur le sujet et a observé que les mortalités d'abeilles sont sous-déclarées dans certaines régions, que les recherches de pesticides ne sont pas toujours réalisées et que des " biais statistiques " dans le bilan donne une importance exagérée aux maladies.
Pour l'ANSES, les maladies ne sont pas en cause
Devant la contestation, l'ANSES a été saisie. Dans son évaluation (rapport Oasis), elle se montre également très critique et reconnaît bien des déficiences au système de surveillance des mortalités d'abeilles. Elle rejette carrément les maladies évoquées dans le bilan pour expliquer des mortalités aigües et massives car ces maladies ne peuvent pas provoquer de tels phénomènes. Elle conseille même de ne plus les rechercher.
Elle pointe du doigt des divergences entre régions dans la recherche des causes des mortalités. Comme l'on ne trouve que ce que l'on cherche, les résultats sont forcément hétérogènes en fonction des investigations décidées. En résumé, si vous ne cherchez pas de pesticides, vous n'en trouvez pas.
L'ANSES conseille d'axer la surveillance sur les pesticides, autres biocides et médicaments vétérinaires. Elle suggère encore d'élaborer une vraie méthode d'investigation applicable à l'ensemble du territoire et de constituer un comité de pilotage collégial (administration, apiculteurs, chercheurs...) pour un suivi régulier et qualitatif des résultats, ce qui permettrait véritablement de déterminer les causes des mortalités.
Enfin, elle donne raison aux apiculteurs dans leur volonté de transparence : les résultats des analyses pratiquées sur les abeilles ne doivent pas restés secrets mais au contraire être communiqués. Ce qui permettrait également de savoir si les pratiques apicoles sont en cause.
Les pesticides recherchés seulement " si l'intoxication ne peut être exclue "
A l'issue de cette évaluation de l'ANSES, assortie de conseils, les apiculteurs attendaient une amélioration du système de surveillance. Pour eux, c'est fondamental. Rappelons que la mortalité des abeilles atteint 30% en moyenne en France, avec des pics à plus de 50% certaines années. Cela signifie que chaque année les apiculteurs doivent reconstituer en moyenne au moins un tiers de leur cheptel, ce qui leur demande beaucoup d'investissement et remet en cause l'équilibre économique de leur exploitation.
Mais le gouvernement ne va pas dans le sens attendu. Le ministère de l'Agriculture " a fait connaitre à la filière les orientations qu'il retenait pour cette surveillance ", explique l'UNAF dans un communiqué. " La recherche systématique des résidus de pesticides n'est pas envisagée. Elle est cantonnée aux cas où " l'intoxication ne peut être exclue " ". Mais comment savoir si l'intoxication ne peut être exclue quand les pesticides sont pulvérisés la nuit à l'insu de tous, que les agriculteurs ne sont pas tenus de déclarer aux riverains de leurs champs ni quand ils épandent ni ce qu'ils épandent, et que les vents entrainent les nuages pulvérisés parfois fort loin ?
Ne plus rechercher les pesticides revient à renoncer, à abandonner l'apiculture à son sort face à une agriculture dans l'impasse qui utilise toujours plus de pesticides pour lutter contre des ravageurs et maladies de plus en plus résistants. Entre le service de la pollinisation, la production de miel, la biodiversité, l'environnement et la santé, le ministère va-t-il faire le seul choix de l'agrochimie ? Ce renoncement, peut-être imaginé par un souci d'économie, aurait pour effet de rendre invisible les effets dangereux des pesticides.
Anne-Françoise Roger