Jean Joseph Rabearivelo
(Présence africaine), écrit « Jean-Joseph… n’était pas taillé pour la victoire, mais pour la défaite. Sa vitalité, son ardeur spasmodique et déréglée marquent sa profonde faiblesse, celle d’une conscience et d’une âme déroutée. Il enfle la voix par désespoir, se voit grand homme, lui qui est petit…Tout recours efficace lui est interdit. Ni la voie française, ni la voix malgache dans les deux directions des ancêtres fabuleux et vers l’aval révolutionnaire, ne peuvent accueillir et porter ses pas d’homme sur un sol ferme. Alors Jean-Joseph bascule sur sa couche, et nous tourne à jamais le dos. » Jean El-Mouhoub Amrouche dans la même préface considère que la signification de son rôle est restée obscure à Jean Joseph Rabearivelo jusqu’à la fin. Pour Robert Boudry ce fut un « drame colonial » (AH). Jean El-Mouhoub Amrouche savait dès sa jeunesse qu’il devait être un porte-parole de son peuple, donc il avait un objectif, ce qu’Aimé Césaire a formulé dans Cahier d’un Retour au pays natal (p 23) : « Et je dirais encore :’’Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir’’. »Jean El-Mouhoub Amrouche définie ainsi sa poésie : « Gustave Flaubert peint du dehors, tandis que j’essaie d’épouser une vie obscure ». Tenter d’épouser le rythme de cette vie obscure sera son objectif dans son deuxième recueil Etoile secrète qu’il publiera le jour de son anniversaire, le 7 février 1937. Il le considère comme le plus abouti. Un recueil où l’effacement de soi et l’absence autorisent la parole. Nabile Farès décrit la poésie de Jean El-Mouhoub Amrouche comme littérature du portrait. Portrait d’un colonisé qui répond à la littérature coloniale. Nabil Farès dans Maghreb, étrangeté et Amazighité (https://la-plume-francophone.com/2016/09/01/presentation-de-maghreb-etrangete-et-amazighite-de-nabile-fares-extraits/) retrace un peu l’histoire de la littérature francophone maghrébine et parle des écrits de Jean El-Mouhoub Amrouche comme une littérature du portrait. L’image de Jean El Mouhoube Amrouche nous apparaîtra ici non pas comme celle d’un précurseur, mais plutôt comme celle du fondateur de la problématique de l’écriture au Maghreb.
Jean El-Mouhoub Amrouche était terrifié par la mort. C’est sans doute cette peur de la disparition qui va l’amener à traduire Les chants berbères de Kabylie en 1939. Dans La préface de la réédition (L’Harmattan 1986) intitulée « Des instruments spirituels » Henry Bauchau écrit : « ces Chants forment une des deux voies. Chacune est essentielle où se compose le dialogue de son œuvre. Les deux sources, celle de l’enfance et celle du peuple originel ne sont pas distinctes en lui ni dans son œuvre… »
Comme l’a écrit Mouloud Mammeri, Jean El-Mouhoub Amrouche n’a pas cherché à faire une adaptation pour plaire au public ou écrivains français, il a cherché plutôt à traduire. Il a privilégié la double transmission, d’une part au public kabyle dont il exhume un patrimoine au bord de la disparition et d’autre part au public francophone auquel il offre ces chants tels qu’ils ont été façonnés par les auteurs anonymes.
Les chants berbères de Kabylie s’ouvrent sur une présentation qui est un véritable essai sur la poésie kabyle. Il rapproche le poète du saint et du héros, il écrit : « l’esprit d’enfance n’est pas l’infantilisme de la pensée ou de la sensibilité, mais le caractère fondamental d’un type supérieur d’humanité de la forme achevée de l’homme digne de ce nom, ainsi le saint et le héros. Il n’est pas un résidu mémorial, mais un mode d’être qu’il importe de conquérir, vers lequel il faut tendre par l’effort véritablement héroïque. »
L’année de publication des Chants berbères de Kabylie, 1939, est aussi celle du début de la seconde guerre mondiale. Jean El-Mouhoub Amrouche a été mobilisé puis, dans un second temps, réformé. C’est alors qu’il fonde avec Armand Guibert la TFL, la Tunisie française littéraire, un supplément littéraire au journal Le Tunisien qui était le plus lu à l’époque. Dans la TFL il donnait essentiellement la parole aux écrivains français qui étaient censurés par le régime de Vichy en France. Et c’est dans la TFL qu’il va écrire un texte qu’on peut considérer comme un essai sur la poésie francophone africaine Pour une poésie africaine. Dans ce texte Jean El-Mouhoub Amrouche remarque la faiblesse des ouvrages francophones écrits par les auteurs africains. Il considérait qu’ils étaient une pâle copie des écrivains français, particulièrement de Victor Hugo et de Paul Valéry et qu’ils s’éloignaient de l’âme africaine. Ces écrivains africains n’ont pas à copier les écrivains Français mais à parler de l’âme de l’Afrique et des aïeux.
En 1942, Jean El-Mouhoub Amrouche rencontre André Gide en Tunisie où celui-ci se réfugie. Ensemble ils fondent la revue L’Arche qui regroupe les forces intellectuelles et morales de la France libre. Jean El-Mouhoub Amrouche en avait même écrit le manifeste. Cette revue dont le premier numéro est publié en février 1944, a d’abord été publiée à Alger par les éditions Charlot, dont Jean El-Mouhoub Amrouche était le directeur littéraire. Ensuite à Paris, après la libération. Vingt huit numéros seront publiés auxquels ont participé des auteurs parmi les plus connus : Antoine de St Exupéry, M. Blanchot, J. Cocteau, Pierre Reverdi, Jules Roy, Albert Camus…
En juillet 1944 Jean El-Mouhoub Amrouche se rend à Paris. Il vient d’apprendre la disparition de son ami St Exupéry. Lui et le commandant Meyer, administrateur général de Radio France à Alger, sont chargés de mettre en place le nouveau dispositif de l’information en France libérée. Mais à son arrivée en France Jean El-Mouhoub Amrouche découvre un pays dont les doutes et les mondanités le déçoivent. Ali Chibani parle d’une « cassure » entre Jean El-Mouhoub Amrouche et la France, à partir du 8 mai 1945. Les réformes politiques et économiques promises ne furent pas tenues. Dans L’Éternel Jugurtha (Arche 1946, réédité dans Algérie un rêve de fraternité, Ed. Omnibus, 1997), Jean El-Mouhoub Amrouche écrit, « Je sais bien où m’attend Jugurtha : il est partout présent, partout insaisissable ; il n’affirme jamais mieux qui il est que lorsqu’il se dérobe. Il prend toujours le visage d’autrui, mimant à la perfection son langage et ses mœurs ; mais tout à coup les masques les mieux ajustés tombent, et nous voici affrontés au masque premier : le visage nu de Jugurtha ; inquiet, aigu, désespérant. C’est à lui que vous avez affaire : il y a dix-huit millions de Jugurtha, dans l’île tourmentée qu’enveloppent la mer et le désert, qu’on appelle le Maghreb… » (AH) Ce portrait est bien aussi, comme le dit Ali Chibani, celui de Jean El-Mouhoub Amrouche, un parmi les dix-huit millions. Plus loin Jean El-Mouhoube Amrouche poursuit : « Jugurtha s’adapte à toutes les conditions, il s’est acoquiné à tous les conquérants ; il a parlé le punique, le latin, le grec, l’arabe, l’espagnol, l’italien, le français, négligeant de fixer par l’écriture sa propre langue ; il a adoré, avec la même passion intransigeante, tous les dieux. Il semblerait donc qu’il fût facile de le conquérir tout à fait. Mais à l’instant même où la conquête semblait achevée, Jugurtha, s’éveillant à lui-même, échappe à qui se flattait d’une ferme prise. Vous parlez à sa dépouille, à un simulacre, qui vous répond, acquiesce encore parfois ; mais l’esprit et l’âme sont ailleurs, irréductibles et sourds, appelés par une voix profonde, inexorable, et dont Jugurtha lui-même croyait qu’elle était éteinte à jamais. Il retourne à sa vraie patrie, ou (AH « où » ?) il entre par la porte noire du refus. »
Dans un entretien Jean El-Mouhoub Amrouche parle d’autodétermination des Algériens, dès 1946 : « il y a une conscience politique algérienne. On ne peut nier cette conscience nationale. Je ne crois plus en l’assimilation. Je rejoins Ferhat Abbès… » (source non précisée) telle est sa conviction jusqu’à sa mort à Paris le 16 avril 1962, au lendemain du cessez-le-feu. Jean El-Mouhoub Amrouche n’a jamais été reconnu officiellement par les responsables algériens (AH), hormis quelques rares comme Abderrahmane Farès, président de l’Exécutif provisoire (d’avril à septembre 1962) qui le nomme symboliquement responsable à la Culture dans cette structure. Seule une école à Aghil Ali porte le nom de Jean El-Mouhoub Amrouche, conclut Ali Chibani.
______ L'ETERNEL JUGURTHA____________
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Quand Jean Amrouche interviewait Paul Claudel en 1950
Hommage de Yvette Z'Graggen