L’HABITUDE DE L'INFINI
BÂTON XXVII
NOUS
Nous
l'homme qui cache la pierre dans la pierre
Nous
la pierre écoutée de la pierre
Nous
la pierre qui tombe dans la pierre
Nous
la pierre qui sort de la pierre
Nous
la montagne sans pierre
de la pierre
Nous
l'abeille
qui divise le mouvement de la pierre
dans l'ordre pur
de la pierre
Nous
le vent
qui noue le silence où passe la pierre
BÂTON XXVIII
TUTOIEMENT
La montagne boîte
de trop d'infini
Viens ici
Je te tutoie
Comment éviter d'être noué
par la lumière
sinon en sortant de la nuit
avec un autre noeud
Une mouche flotte
au bout d'une corde
comme un gibet
pendu au cou d'un pendu
L'histoire ce matin
est l'infini des cordes
Viens ici
Je te tutoie
Les papillons ne boivent
que dans les miroirs
BÂTON XXIX
PAIN ET COUTEAU
Les baisers
inclinent les arbres On se dit vous
en s'aimant
pour ne pas modifier
la beauté générale de la beauté
Deux hommes s'échangent un pain
pour couper leurs couteaux
Le ciel s'est posé
doucement sur une table
Une femme tire la tête de la nuit
soleil par soleil
La lumière coule sur son oeil
La beauté qui se perd
nous aime toujours de nous
avoir perdus
BÂTON XXX
LA MONNAIE D'UNE ÉTOILE
En chantant
on se sépare
sans bouger les lèvres
de ce qui nous embrasse
car nous avons faim d'avoir faim
et nous vengeons le vent
d'être la feuille
qu'il n'a pas choisi
de faire tomber
En jetant
nos yeux dans le ciel
nous voyons l'infini
marcher comme un mendiant aveugle
La nuit lui donne parfois
et avant nous
la monnaie d’une étoile
Serge Pey, Mathématique générale de l’infini, préface d’André Velter, Poésie/Gallimard, 2018, n°530, 8,30€, 432 p.
Serge Pey dans Poezibao :
extrait 1, Albert Birot Arlette, Serge Pey, la bouche est une oreille qui voit (fiche de lecture), ext. 2, ext. 3, (anthologie permanente) Serge Pey, "Le soleil et la loupe"