(Note de lecture) Pierre Dhainaut, État présent du peut-être, par Philippe Fumery

Par Florence Trocmé

Il est souvent difficile de prévoir si la neige tombera, au lieu d’une pluie froide, et si elle tiendra. Promesse ou caprice du climat : la nuit passe et l’émerveillement se produit au réveil. Sur le littoral dunkerquois, l’effet sur la plage ou les dunes donne à la neige un velouté particulier, magique.
D’emblée Pierre Dhainaut associe la neige à la nuit. L’une et l’autre sans doute relient, comme un rêve de l’aube jusqu’à l’aube (10) ; traversent, transportent de ce côté comme de l’autre de la fenêtre (10). L’une comme l’autre peuvent à la fois s’enfouir : la nuit sous la nuit (12), ou se régénérer : la neige renaît après la neige (13). La neige et la nuit ont en commun de tomber, lentement, durablement, pour un observateur. La neige qui tombe / nuits hantées, attisées (45). Alors la vue ne peut être seule à dire la présence de la neige, Pierre Dhainaut invoque l’écoute, celle qu’il porte aux éléments comme aux êtres. Nous apprenons à entendre le murmure de la neige derrière celui du mot (9). La nuit est bienfaisante pour ceux qui ne tendent que l’oreille, et qui sont libres de l’entendre (11).
Si la nuit est affaire de rythme, de quotidien, la neige – dont on ne sait si elle reviendra cet hiver ou non – est affaire de mémoire. Celle-ci se teinte parfois d’angoisse, comme les nuits d’insomnie : pour la nuit, la nuit nue, il a compris /qu’il ne faut porter aucun masque (29). Ou bien la mémoire est heureuse, comme triomphante : nous regrettons la neige, une fois pour toutes / elle s’est inscrite au fond des yeux aimants / dans la contemplation du sable, des flammes / des nuages qui viennent de l’ouest, elle se régénère / elle persiste sur les draps que nous jugeons blafards (31).
Alors sans doute, grâce à l’écoute de la neige ainsi démultipliée, associée à l’action d’une mémoire toute sensible – et même la mémoire impuissante à la ressusciter (9) – alors la neige recouvre l’horizon qui se dissimule, dès que le regard est prêt, quand le désir augmente. C’est sans doute ce qui appelle l’auteur vers un site familier : Nous retournerons souvent sur le cap Blanc-Nez (39).
La nuit est toujours prête, qui réitère l’épreuve, l’espoir demeure dans la parole, les mots comme « oui » ou « nous », l’espoir qui ferait revenir la neige (14). Le territoire s’ouvre, sous cette neige, la mémoire de cette neige qui passe par le murmure en commun, celui de l’enfance et celui de la vieillesse.
« Neige » est la syllabe originelle, c’est le mot qui affranchit la gorge (12). C’est encore le mot qui inspira l’enfance (31). Dès lors, ce jour de mars où « la nouvelle née » est arrivée, sa naissance est une neige bienfaisante, que signalent les fleurs écloses, la fraîcheur parfaite ; il n’y a pas d’autre cadeau à apporter en dehors de nos yeux (35).
Quant à la vieillesse, on laisse avec remords les mourants à la nuit des plaintes, des râles (13). Au chevet, les attentions habituelles comme le verre d’eau, le bouquet de fleurs n’ont plus leur utilité : nous nous contenterions d’être présents (41).
Le souffle peut se perdre, le murmure baisser encore, le silence s’installer sous l’épaisseur de la nuit et de la neige. Que dire alors du poème ? À quel risque l’expose-t-on ? Pourrait-il s’appliquer le verbe « s’amuïr » ? (50).
D’autres entrées sont possibles pour ce récent recueil de 50 pages, assemblé en trois parties. Certains poèmes s’inspirent des dessins de Caroline François-Rubino, qui a donné l’image de couverture. La neige a une histoire dans l’œuvre de Pierre Dhainaut, et son approche a évolué. Les poèmes non plus n’expliquent / comment aller de proche en proche, avance l’auteur dans les pages de la revue Arpa d’octobre 2017, sous l’intitulé « Variation sur la neige ». Mais il est permis d’espérer qu’ils restaurent l’espace / favorable aux arbres, à la neige (Arpa, page 8).
Philippe Fumery

Pierre Dhainaut, État présent du peut-être, éditions Le Ballet Royal, 2018,, 58 p., 15€.