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Wall – Le Mur des Lamontations

Par Julien Leray @Hallu_Cine

D’une situation géopolitique inextricable, incompréhensible même parfois pour ses plus éminents spécialistes, à défaut de solutions ou d’espoirs, restent les symboles. Par-delà l’idéologie, les croyances, les allégeances, s’élèvent des messages équivoques, au propos éloquent, aux conséquences évidentes. Le mur érigé par Israël séparant son territoire des palestiniens, censé protéger ses citoyens du péril étranger, fait incontestablement partie de ceux-là. Tout comme le sentiment de honte qui s’en dégage, démontrant une nouvelle fois, après le Mur de Berlin, que l’humanité, de peur et de méfiance mêlées, n’apprend décidément pas.

« Oui, mais le pourquoi est tout de même plus compliqué que ça. » nous ressasse-t-on depuis tant d’années, à longueur de débats. Cam Christiansen, lui, a choisi. De ne pas se risquer à s’enliser dans des abîmes de complexité, mais de revenir aux fondamentaux : l’impact de ce mur au quotidien sur les populations concernées.

Un impact abordé selon trois angles – social, politique, et économique -, au gré du parcours du dramaturge britannique David Hare (scénariste, entre autres, de The Reader) à travers Israël et la Cisjordanie, qui le mènera notamment à Naplouse, Ramallah, ainsi qu’à la plus emblématique de toutes, la sacrée, convoitée, et déchirée Jérusalem.

Le périple documentaire terre-à-terre de Cam Christiansen va dès lors s’attacher avant tout aux faits, où la vision et le ressenti des gens « d’en bas » priment sur les discours et les effets d’annonces étatiques, et ce dans chaque camp, par trop idéologiques. David Hare et Cam Christiansen se laissent ainsi aller à la découverte, à l’exploration sur le terrain, pour mieux constater de quoi retourne concrètement cette terre des Saints, où la vie de tout un chacun est intrinsèquement liée au sacré, où ce qui les meut ne peut jamais être décorrélé d’un mysticisme pleinement ancré.

Pour le cinéaste, la donne est claire : la vie actuelle des israéliens et des palestiniens est en noir et blanc. Sans couleurs, sans vraies nuances. La misère a gagné le cœur de la Palestine et des territoires occupés. En dehors des discours de façade à l’immobilisme patenté, il n’est finalement rien de bon à retirer. Les seuls élans d’humanité se traduiraient par la peinture de graffitis sur les flancs du Mur – seuls moments colorés du film -, dans une similitude troublante avec ce qui avait été fait à Berlin pendant la Guerre Froide. La privation de territoires par Israël au détriment de la Palestine, le repliement de la première sur elle-même, la porte ouverte aux extrêmes(-ismes) chez la seconde, a conduit à une déshumanisation des populations, l’expression artistique ou politique de leurs opinions étant désormais un lointain souvenir, sous le poids d’une doctrine et d’une réthorique en vase-clos.

En faisant de l’élément le plus polémique (la colonisation – illégale – israélienne des territoires palestiniens) de Wall (Le Mur) son cœur et son cri, Cam Christiansen souligne l’aberration et l’absurdité d’une situation extrême, qui tend à gommer et renier les fondements culturels et identitaires des deux camps. Jérusalem, la « Cité de David », défigurée. Les paysages ravagés par les constructions précaires et sauvages, sans urbanisme unifié. Finalement, la richesse et la beauté d’une région piétinée dans sa chair et son histoire.

Pour traduire le conservatisme institutionnel aux prises avec des poussées revendicatrices récurrentes, Christiansen a opté pour une approche similaire à celle d’Ari Folman sur le superbe Valse Avec Bachir, soumettant sa vision documentariste aux envolées visuelles et aux déformations du réel inhérentes au cinéma d’animation. Épousant totalement son propos, le noir et blanc aux contours très marqués renforce cette idée d’un manichéisme ancré de chaque côté : « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », adage qui donnera d’ailleurs lieu à une séquence stupéfiante où David Hare s’interrogera quant au sens de la présence d’une affiche de Saddam Hussein, dictateur irakien chassé du pouvoir par les américains lors de la seconde Guerre du Golfe, au sein d’un bâtiment palestinien.

Le mélange de capture de mouvements et d’animation à la main par-dessus les visages des acteurs confère à l’ensemble une saveur d’étrangeté, un accent d’Uncanny Valley à dessein provoquant le malaise, face à la déshumanisation de ce qui est pourtant censé relever du « cinéma du réel ». Les regards, aux mouvements aberrants, les expressions, rigides, aux contours paradoxalement toujours mouvants, par leur simple jeu nous mettent sous tension, empêchant toute prise à l’identification. Les individus, broyés par un conflit qui n’en finit plus de s’enliser, ne comptent plus. À contrepied de l’approche volontairement en retrait de Frederick Wiseman, Cam Christiansen déploie lui les outils de l’animation afin de renforcer le sens et la puissance de sa démonstration. Troquant la libre interprétation du spectateur pour un propos tranché, frontal, outrepassant l’analyse pour faire avant tout montre de franchise.

La relative laideur du trait est ainsi à l’image de l’horreur morale que représente ce Mur de métal et de béton : la barrière entre l’inhumain et la véritable richesse toujours vivace en sous-main. Cette richesse prête à flamber à nouveau, seule flamme légitime de deux peuples fossilisés dans le cul-de-sac qu’ils ont à leur corps défendant eux-mêmes entérinés, Cam Christiansen n’en fera d’ailleurs pas l’économie. Les visions hallucinées où l’aridité plastique se substituera à des envolées visuelles stupéfiantes réhabilitant, elles, la grandeur historique et architecturale des lieux désormais ravagés, seront son cri du cœur et son manifeste en faveur d’un retour à la paix. Au moins, au respect.

« Nul ne sait où il va, s’il ne sait d’où il vient. Tel est l’enjeu de l’histoire : apprendre à observer le passé pour mieux comprendre le présent et tenter d’anticiper l’avenir. Une tâche rendue possible parce que l’histoire se répète – au moins deux fois, sinon plus. La première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce » (Karl Marx)

Dans Wall (Le Mur), les stigmates du passé se conjuguent au présent. La souffrance et la négation des droits, d’où qu’elles viennent et quelles qu’elles soient, ne se hiérarchisent pas. L’indignation ne choisit pas son camp : seules devraient rester l’empathie et la compassion. Et autant dire que ce que Cam Christiansen a à nous dire et à nous montrer sur ce plan est plus que jamais important.

Film de clôture des Sommets du cinéma d’animation 2017.

wall_le_mur_trailer

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