Le titre de ce roman poétique, Mourir puis sauter sur son cheval, est tiré d'un vers d'Ossip Mandelstam. Ce n'est pas pour rien que David Bosc l'a placé en épigraphe à son livre: l'héroïne meurt d'abord avant de renaître sous sa plume.
Sonia meurt de façon insolite: elle se dévêt dans le hall de son immeuble à Londres; toute nue elle s'élance dans la cage d'escalier; arrivée sur le palier du dernier étage, elle frappe à la porte; son père ouvre; elle gagne sa chambre et saute par la fenêtre...
Dans le roman son patronyme est A., dans la vraie vie Araquistáin, fille de Luis. L'auteur reconnaît qu'il ne sait rien de la vraie Sonia, mais la sienne est tout aussi vraie puisqu'elle existe grâce à lui et qu'elle se manifeste par le dessin et l'écriture.
Sonia s'est envolée par la fenêtre de sa chambre à Londres au mois de septembre 1945. La guerre est finie. Une page se tourne. Elle, elle laisse les pages d'un carnet de rêves, ses dessins que le lecteur ne peut voir, et de son journal, qu'il peut lire.
Ce journal, l'auteur l'écrit sous la dictée de Sonia, à même un roman des années trente: Sur des dizaines de pages, [...] en croisant ses lignes avec celles du texte imprimé. Et cela donne un texte poétique qui parle de tout et de rien.
Sonia connaît un tas de choses que sa curiosité innée lui fait découvrir sans idées préconçues parce qu'elle n'a pas l'esprit de système. Dans les livres qu'elle ouvre, elle est comblée quand son désir y trouve ce qu'elle ne soupçonnait pas.
A l'expression au hasard elle préfère naturellement l'expression à tout hasard: car, quand on prononce cette dernière, on sent un flegme et ce don de l'attente curieuse, mais sans exigences, auquel la fortune se plaît à remplir les mains...
Cette façon d'appréhender les choses devient méthode, c'est-à-dire absence de méthode: elle ne sait pas où elle va mais elle y va en suivant des gens qui savent sans doute où ils vont: celui qui suit est la légèreté même, il est irresponsable...
Ce passage confirme la manière: Dérégler en moi le sens de l'orientation, me soumettre au rythme et, tour à tour, être moi-même la source de la pulsation, de la pulsion. Combattre la cadence par l'arythmie: le coeur des malades et des émotifs.
Le rapport de Sonia au langage n'y est pas étranger: Jouir, bondir, s'évanouir, libérer hors de sa bouche un flot de paroles sans suite. Car le propre du langage est précisément dans ces suites et poursuites auxquels il commande sans relâche.
Il n'est pas étonnant que Sonia voie son salut dans la transformation, dans la métamorphose, dans le saut hors de la chose et de la cadence. Elle se disait depuis un moment son impatience, tout en ayant un flair infaillible pour les empêchements:
Tu ne te transformes pas assez vite, ton aujourd'hui continue ton hier. Et ce chemin qui te suit pas à pas, c'est ton passé, déjà, qui s'engraisse de la dépouille de tes jours...
Francis Richard
Mourir et puis sauter sur son cheval, David Bosc, 96 pages, Verdier