Un loup pour l'homme, de Brigitte Giraud

Ne vous arrêtez pas au titre : Brigitte Giraud en déplace le sens proverbial. L’homme est un loup pour l’homme, dit-on, mais sait-on ce qu’est un loup pour cet homme blessé qui ne s’en remettra pas. De quoi devrait-il se remettre ? De la guerre qui n’est pas officiellement une guerre ? De sa maladresse ? De sa honte ? Et pourquoi devrait-il avoir honte ?

Dans le livre de Laurent Mauvignier, Des hommes, la guerre d’Algérie rattrape les appelés qui sont partis et ont vu, vécu les horreurs qui ont profondément modifié leur comportement, y compris quand ils en sont revenus.

Dans celui de Brigitte Giraud, les appelés ne savent même pas ce qui se passe autour d’eux ; parfois les familles en France ont plus d’information qu’eux-mêmes. La beauté du pays les surprend et ils ne peuvent pas parler de ce qu’ils devinent, voyant les blessés, dans l’hôpital où travaille Antoine qui n’a pas voulu porter d’arme. Qu’en est-il des fiancées ou des femmes laissées en France ? Lila est enceinte quand la patrie lui prend son jeune mari. Qu’à cela ne tienne, elle ira à Sidi Bel-Abbès le rejoindre. Quand l’enfant, une fille, nait, le rythme s’accélère pour Antoine : la vue de la fille, tout ce qu’il faut faire, pour cette « vie, qui surgit, minuscule et pleine de force ». Et les deux jeunes parents vont vivre des jours étranges, la guerre si près, la peur dans les rues, jusqu’au jour où « la Française, la pied-noir et l’Algérienne ne boiront plus le thé ensemble ». Toute cette jeunesse perdue, à qui l’État interdit de se souvenir en répétant que « la guerre n’a pas eu lieu ». 

Et l’homme, blessé, attend, regardant la montagne. La sauvagerie n’est pas du côté qu’on prétend.