Prière pour ceux qui ne sont rien de Jerry Wilson 4/5 (13/01/2018)
Prière pour ceux qui ne sont rien (169 pages) est sorti le 11 janvier 2018 aux Editions Le Serpent à plumes (traduction : Sébastien Doubinsky)
L’histoire (éditeur) :
Bienvenue à Boise, Idaho, bienvenue dans les parcs et les réserves naturelles de la ville, bienvenue en enfer. Ici vous trouverez des essences rares de pins, des peupliers de Virginie, des écureuils bruns et des alcooliques rougeauds dévorés par les puces, sentant la merde et le vomi, qui donneraient leur mère, s’ils l’avaient connue, contre un cubi de rouge. Welcome to Boise ! Jerry Wilson a travaillé comme garde municipal dans ces parcs. Il a nettoyé jour après jour les canettes de bières, les taches les plus invraisemblables, les traces laissées par la lie de l’humanité. Il est devenu ami avec les clochards, les paumés, les homeless qui vivent sous des toits en moquette pourrie, aux pieds des arbres parmi les étrons, ou sous les ponts, dans des niches en béton. Il les a écoutés déblatérer, a écouté leurs mensonges, leurs bravades. En nettoyant leurs déjections. Mais surtout il les a aimés. Ces gens-là ne durent pas bien longtemps. La plupart – tous ? – seront déjà morts quand vous lirez ces lignes. En leur mémoire, Prière pour ceux qui ne sont rien, Jerry Wilson a voulu témoigner de leur existence et du génie éternel de ces clochards célestes de l’Idaho. En véritable héritier de Bukowski et Steinbeck, Jerry Wilson donne la parole aux délaissés de l'Amérique de Trump. Une Amérique à la fois pathétique et émouvante.
Mon avis :
Après la lecture de l’introduction, dont se dégage un vif sentiment de sympathie envers l’auteur (qui semble-t-il ne manque pas d’humour ni de tendresse, et surtout pas d’humanité), j’ai été plus qu’emballée à l’idée de poursuivre ma lecture et découvrir ce qui allait suivre.
Rien de féérique évidement dans ces pages, pas que du beau (du moins dans les faits, car la narration n’en manque pas) nous souligne d’ailleurs l’auteur, mais du vrai, du dur, de l’authentique. On est totalement emporté dans les histoires de ces hommes et de ces femmes, rebus de la société, qui survivent à leur manière, rudes, solitaires mais malgré tout unis, plongés dans la pauvreté, l’alcoolisme et la drogue. La déchéance est là, mais aucun misérabilisme de la part de Jerry Wilson.
De par son expérience en tant que garde municipal de ces mêmes parcs, l’auteur raconte (à travers Dick Swiller, agent municipale de 52 ans travaillant au département des eaux et forêts) des tranches de vie percutantes et souvent tragiques avec un réalisme saisissant. Ses portraits de SDF sont touchants et empreints d’un vif humanisme. C’est souvent terrible, mais rien de sordide ni de trop noir car il nous les présente de manière simple, avec bienveillance et compassion, dans un style pas dénué d’humour. Il ne manque pas de souligner l’entraide et la tendresse parmi la crasse, la santé mentale fragile et la violence.
Le regard de Jerry Wilson sur cette réalité sociale est sans fard, acéré. On réalise avec force la dureté de leur vie. Mais la lecture est loin d’être désagréable car on est porté par un élan de sympathie (ému par leur histoire) et par une plume vive qui mêle désespoir, détails scabreux, tendresse et drôlerie dans les dialogues.
« - Tu peux pas jamais faire confiance à un type qui porte une ceinture et des bretelles en même temps.
-Dis pas n’importe quoi, Jim, fit Sawson, crachant un énorme glaviot marron et essuyant le jus sur son menton avec la manche de sa chemise. » Page 86
Prière pour ceux qui ne sont rien est une très bonne lecture. Puissante, authentique et sans artifice.