Il y a quelques années j’étais fascinée par l’Indus. J’avais fait des études d’Histoire et j’avais trouvé que les aventures d’Alexandre le Grand en Asie c’était plutôt cool. Je rêvais donc de l’Indus, de ce fleuve mythique où Alexandre avait rencontré des éléphants et un roi indien qui l’avait renvoyé dans ses pénates macédoniens. Alexandre n’est jamais rentré chez lui et de mon côté cette histoire m’a donné envie de voir de plus près ce fleuve et moi aussi de déambuler dans les anciennes et mythiques Bactriane et autre Sogdiane. J’ai commencé par suivre son cours en allant au Ladakh, au nord de l’Inde, là où le fleuve sort des hautes montagnes du Tibet où il est né, au pied du mont sacré du Kailash. Puis ensuite je suis allée au Tibet pour pleurer sur les ruines de la civilisation tibétaine mise à sac par les Chinois. Mais l’Indus c’est au Pakistan qu’il coule réellement. C’est au Pakistan qu’il prend son court majestueux de fleuve asiatique, où il finit de dévaler les pentes de l’Himalaya comme un torrent pour devenir un large fleuve dans les plaines arides du Sind.
J’étais aussi fascinée par la civilisation d’Harappa, une civilisation antique, équivalente à celles de Mésopotamie ou d’Egypte, mais qui reste un mystère pour les archéologues car il y a très peu de restes écrits et surtout on ne sait pas les déchiffrer. Cette civilisation pacifique et visiblement évoluée, comme toutes celles de son époque, s’est installée sur les bords de l’Indus au sud de l’Inde. Les villes de Mésopotamie ont le Tigre et l’Euphrate, les temples égyptiens ont le Nil ; Harrapa et Moendjo Daro ont l’Indus. Enfin (et oui, j’ai vraiment beaucoup de raisons d’aimer ce pays), mes voyages précédents dans l’Himalaya ont fait de moi une bouddhiste. Mais je reste profondément européenne et, en tant que professeure de philosophie, très passionnée par la pensée de la Grèce ancienne. Or, c’est au Pakistan, au début de l’ère chrétienne, que se sont rencontrés l’Orient et l’Occident, le bouddhisme et la pensée grecque. Cela a donné naissance à une autre civilisation, celle du Gandhara, célèbre pour ses statues de Bouddha drapés dans des toges athéniennes et aux traits plus qu’européens. Pour terminer cette longue liste, qui est surtout je m’en rends compte une liste d’intello pur jus… je voulais aussi voir de plus près les hauts sommets de l’Himalaya. Le Pakistan est un pays de montagne : Himalaya, Hindu Kush, et du Karakoram. C’est un pays de vallées himalayennes, dont j’avais déjà pu avoir un aperçu lors de mon séjour au Ladakh, des vallées où le bleu diamant du ciel touche le vert des peupliers et le jaune de l’orge moissonné. Je ne suis pas alpiniste, mais seulement trekkeuse, et le Pakistan est le rêve pour ceux qui aiment la haute montagne. Il y a 5 sommets à plus de 8000 mètres, dont le K2 et le Nanga Parbat, dont j’ai atteint le camp de base, le féérique Fairy Meadows ; et 120 sommets de plus de 7000 mètres. J’ai eu la chance de résider au pied de l’un d’eux, le Terich Mir dans la vallée de Chitral. Alors c’est sûr, comme ça, à première vue, le Pakistan ce n’est pas un pays très touristique, et il l’est de moins en moins. En tout cas il ne l’est pas pour ceux et celles qui font du tourisme… mais j’ai rencontré parfois des européens qui avaient dépassé cette « peur » très médiatique et très politique et à chaque fois que je discute avec ces chanceux, nous sommes transportés d’un délire collectif à nous raconter les merveilles que nous avons pu voir, vivre dans ce pays hors norme.
Les Talibans, un pays arriéré, les clichés… Tu infirmes ou tu confirmes ?
Un jour, je suis rentrée du Pakistan et la semaine suivante je retournais à mon poste d’enseignante dans un collège de région parisienne (à l’époque j’enseignais l’histoire-géographie… ). Je savais que je passais pour une sacrée hurluberlue auprès de mes collègues, mais j’avais l’habitude et de toute façon les profs sont une des castes les plus réactionnaire que je connaisse ! Bref. Comme toujours j’étais enthousiaste de ce énième voyage et j’essayais de dire à mes collègues en salle des profs, que « non, le Pakistan n’est pas que ce pays voyou, arriéré et pétri de fanatisme religieux ». Pour les convaincre, j’ai rétorqué que « les Talibans sont des gens comme vous et moi », sous-entendu que l’image de barbares sanguinaires que l’on nous décrit dans les médias occidentaux n’est pas tout à fait la réalité. A ma provocation (j’avoue), on m’a répondu que « les Talibans sont surtout comme toi » ! Oh… je l’ai pris pour un compliment, venant de personnes dont je méprisais foncièrement le jugement.
Au-delà de cette anecdote, je sais un peu limite (mais il n’est pas toujours aisé de défendre quelque chose que l’on aime quand l’immense majorité vous prend pour une folle et qu’elle pense que l’objet de cette passion est totalement inadapté à ce sentiment fort et noble), le Pakistan est un pays très profondément religieux. Paki-stan cela veut dire le Pays des Purs… tout est dit ! La République est une république islamiste ; la charia, la loi coranique est mise en œuvre dans certaines provinces, dont celle de Peshawar où j’ai vécu.Les femmes, dont moi, qui en plus étais mariée à un pakistanais (oui… je sais…), sont clairement soumises à la domination masculine et n’ont que très peu de droits. Elles portent le voile et la burqa ; elles sortent très peu de chez elles ; font peu d’études ; sont mariées jeunes et dans des mariages arrangés. Bref… c’est le monde dans lequel vivait… ma grand-mère dans les années 60… soumise à un pervers de 15 ans de plus qu’elle… elle allait à la messe tous les dimanches en portant sa voilette… elle ne travaillait pas et n’avait pas fait d’études… parfois elle mangeait dans sa cuisine quand son mari mangeait devant sa télé dans le salon… Tout ça pour dire qu’en matière d’arriération, il ne vaut mieux pas jouer à qui « pisse le plus loin »… surtout quand on regarde aujourd’hui le « leader du monde libre », les Etats-Unis, où la morale la plus hypocrite et la plus religieuse refait surface. Avoir vécu au Pakistan m’a d’autant plus appris la tolérance et le mépris des religions monothéistes. J’ai côtoyé des Talibans mais surtout des personnes ordinaires pour qui la religion, la loi coranique étaient centrales dans leurs vies. Cela impliquait une morale, en particulier sexuelle, qui n’était en grande partie qu’hypocrisie. Une fois que l’on a compris cela, « quand on vit à Rome on fait comme à Rome »… sinon on ne voyage pas (du moins c’est mon principe). Après, le jugement moral sur ce que vivent les autres, ce qu’ils font ou comment ils devraient vivre m’est totalement étranger. Je ne porte jamais ce genre de jugement car je déteste par-dessus tout qu’on en fasse usage concernant ma propre vie. Mais à part cela, j’ai découvert aussi des gens et surtout des familles où la solidarité n’était pas juste un mot. Des familles élargies où chacun pouvait être soutenu et aidé. J’ai assisté à des moments de vie quotidienne où l’éducation des enfants est l’affaire de tous, pas seulement des parents : les mioches se prennent des baffes et des baisers par toute leur parentèle, ils apprennent à être autonomes très vite et les maisonnées sont remplies de rires, de joies d’être ensemble avec le plus de générations possibles. Personne n’est seul au Pakistan !
Qu’est-ce tu gardes du Pakistan en toi ?
Je garde beaucoup d’images, celles des montagnes en particulier : le Terich Mir et la vallée de Chitral, le Nanga Parbat et le camp de base de Fairy Meadows, la vallée de l’Indus du nord au sud, la vallée de Gilgit tout au nord, Karimabad et ses forts médiévaux. Je garde les odeurs et les couleurs du bazar de Peshawar, la ville aux mille facettes, étape de la route de la soie et aujourd’hui bastion des intégristes religieux. Je garde les saveurs de la cuisine orientale, le goût typique du chaï et surtout celui du riz cuisiné au poulet de Chitral : je n’ai jamais mangé quelque chose d’aussi bon ni d’aussi simple ! Je garde aussi des images des visages des gens que j’ai croisé et que j’ai aimé. L’accueil fabuleux de tous les gens qui ont croisé ma route, leur bienveillance, leur gentillesse à mon égard. J’ai été accueillie comme une enfant du pays par des gens qui vivent avec parfois moins que les plus pauvres des pauvres de France. J’ai l’habitude de dire que le Pakistan est devenu mon pays d’adoption, et je sais que très peu de personnes comprennent, sauf ceux et celles qui y sont allées. Je dis aussi que j’ai quitté le Pakistan, mais que mon cœur est resté accroché en haut des montagnes.Avec la distance, tu idéalises ? Tout à fait, et j’assume.
Un retour un jour, ou plus jamais ? C’est évident : j’y retournerai. Une trop grande part de Moi est là-bas, avec des rêves, des souvenirs, des images, des odeurs. J’ai vécu une expérience extraordinaire qui n’est pas terminée. Mon rêve secret est, au moment de ma vieillesse ou peut-être avant, de m’y installer, dans une petite maison quelque part dans une vallée du Nord et de regarder le temps qui passe.
Les blogs qui racontent l’Iran, Dubaï ou d’autres pays du genre : tu les lis ? Tu en penses quoi ?
Non je ne lis pas de blogs de voyages. Cela ne m’intéresse pas, surtout quand je n’ai pas visité le pays. J’ai visité Dubaï, Doha et le Yémen (deux mondes totalement opposés) et j’ai trouvé au Yémen la même profondeur qu’au Pakistan, la même densité de la vie, des gens, des paysages. Dubaï, Doha et toutes ces villes-états ne sont que des gadgets dans le désert et de plus en plus des petits bouts de l’Occident malade. Par contre, j’irais bien en Iran, parce que le peuple iranien… et bien c’est tout de même autre chose. C’est comme les Afghans : ils ont une culture, puissante et ancienne, ils sont ancrés dans un paysage ancestral, à la fois très rude et très beau. Je ne vais pas me faire des amis, je sais, mais ce n’est pas le cas des Arabes par exemple, peuple de bédouins, nouveaux riches qui n’ont pas l’Esprit pour faire quoique ce soit de fort ou de beau avec leurs dollars. C’est d’ailleurs pour cela que la guerre actuelle entre sunnites arabes et chi’ites iraniens, qui détruit le Yémen et la Syrie, est bien plus qu’une guerre fratricide ou uniquement de religion.