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Les désarrois de l’élève Sarkis

Publié le 06 mars 2018 par Pantalaskas @chapeau_noir

« Intérieurs »

C’est une rencontre pour le moins étonnante qui anime actuellement l’exposition « Intérieurs » à la galerie Nathalie Obadia à Paris.

Les désarrois de l’élève Sarkis

« 2017.10.26 Punctum » Sarkis

De quoi s’agit-il ? L’artiste Sarkis, depuis 1969 où il est invité par le critique Harald Szeemann à participer à l’exposition « Quand les attitudes deviennent forme » , poursuit un parcours exigeant partagé entre enseignement et œuvre personnelle. En France comme à l’international, Sarkis est reconnu, présenté dans d’imposantes expositions. Le dialogue avec d’autres œuvres est un protocole déjà utilisé par l’artiste. En 2010, dans l’exposition Passages au Centre Pompidou, les créations de Sarkis entrent en conversation avec les œuvres de Kasimir Malevitch, le mur de l’atelier d’André Breton ou Plight de Joseph Beuys, l’une des figures tutélaires de Sarkis avec le cinéaste Andreï Tarkovski, dont l’artiste réinvestit un film dans l’atelier de Brancusi.
Eugène Leroy (1910-2000) semble venir d’un monde disparu. Appartenant à la génération des peintres souvent associés sous l’étiquette de seconde école de Paris, il aurait pu, comme bon nombre d’entre eux (excepté Pierre Soulages), retomber dans un oubli peut-être provisoire. Longtemps Eugène Leroy semble avoir pâti de sa discrétion, de son isolement dans son atelier de Wasquehal. La dernière décennie du peintre, de 1990 à 2000, est cependant décisive puisque l’artiste voit son œuvre accéder à une reconnaissance internationale.

Les désarrois de l’élève Sarkis

« Grande Figure, l’été »
1990 Huile sur toile Eugène Leroy

Celle-ci se vérifie notamment par la rétrospective du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1988 et par les participations consécutives d’Eugène Leroy à la Biennale de Sao Paulo en 1990 et à la Documenta de Kassel en 1992. Une rétrospective majeure suivra au Musée d’art moderne de Nice en 1993. Il participe également à la Biennale de Venise en 1995, et reçoit le Grand prix national de Peinture en 1996. En 2010, à la suite d’une importante donation des fils de l’artiste, le MUba-Eugène Leroy de Tourcoing présente L’Exposition du Centenaire, la plus importante rétrospective consacrée à l’artiste.
Eugène Leroy est un peintre de la matière, une matière obsédante, transformant le plan de la toile en espace à trois dimensions. Au-delà du paysage, au-delà du portrait, le sujet de la peinture d’Eugène Leroy, c’est la peinture : « Tout ce que j’ai jamais essayé en peinture, c’est d’arriver à cela, à une espèce d’absence presque, pour que la peinture soit totalement elle-même. » confiait-il.

Les désarrois de l’élève Sarkis

« 32017.10 Kintsugi avec l’élève Toerless et 2 biscuits chinois »

Inventaire

Quelle rencontre pouvait s’opérer entre Sarkis et Eugène Leroy son aîné de trente ans ? C’est ce que tente de montrer l’exposition de la galerie Nathalie Obadia. On ne parlera pas de confrontation. Il va falloir au visiteur se frayer un chemin dans cet inventaire proposé par Sarkis pour appréhender les passerelles que l’artiste souhaite établir avec son maître : des vitraux, des huiles sur papier, du bois doré à la feuille, des céramiques, des impressions sur papier, de l’aquarelle séchée, et de multiples matériaux familiers chez Sarkis comme des bandes magnétiques, des néons, du cuivre. L’inventaire ne s’arrête pas pour autant : papier bulle, palettes en bois, rouge à lèvres, goudron, tulle rose, une pierre fossilisée, un séchoir à dessin, un pupitre, des cadres avec miroirs, une tunique, une côte de maille, des huiles parfumées, un masque africain, du riz, des plans de monastères et églises…
« C’est ce que je trouve qui me dit ce que je cherche «  disait Pierre Soulages. C’est peut-être cette même réflexion qui peut s’appliquer au protocole de Sarkis. L’artiste nous donne-t-il pour autant toutes les clefs pour lire cette mise en situation contemporaine de l’œuvre d’Eugène Leroy ? Dans cette relation de maître à élève, Sarkis est-il arrivé à se fins pour établir ce dialogue entre des générations apparemment si éloignées ? Il aurait fallu que puisse s’exprimer le sentiment du peintre face à cette scénographie complexe. Je ne cache pas, pour ma part, la difficulté rencontrée pour décrypter ce rébus. L’œuvre intitulée « 32017.10 Kintsugi avec l’élève Toerless et 2 biscuits chinois » est composée d’une image en noir et blanc extraite du film Les désarrois de l’élève Törless de Volker Schlöndorff, déchirée en quatre et recollée, et de deux statuettes en porcelaine chinoises. Dans l’œuvre « 2017.10.26 Punctum », une photographie en noir et blanc d’un soldat jouant du piano dans une forêt, semble-t-il, est ponctuée par endroits de traces d’une peinture épaisse.  Le désarroi aurait-il touché l’artiste contemporain ?
Entre concept et matière l’évocation de Sarkis m’a interpellé, dérangé même par l’insatisfaction de ne pas tout décrypter de cette mise en scène quelque peu ésotérique. Mais comme en philosophie la question est plus importante que la réponse, peut-on considérer que la tentative de Sarkis a atteint son objectif ? A-t-il surmonté se propres interrogations, ses doutes pour mener à bien ce défi ?  Je suggère au lecteur de cette chronique de profiter des jours qui restent encore disponibles pour se livrer à sa propre enquête dans cette exposition exigeante.

Eugène Leroy et Sarkis « Intérieurs »
12 janvier/17 mars 2018
Galerie Nathalie Obadia
3 Cloître Saint-Merri
75004 Paris


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