Il y avait longtemps elle avait connu la révolte, les affrontements et la peur. Seule la fuite à l'autre bout du monde l'avait protégée. Plus encore, la fuite dans son propre imaginaire l'avait sauvée car elle savait que là au moins, elle ne risquait pas d'être trouvée, quelle que soit la nature de ses assaillants.
Phyllis Marie Melvil écrit des romans policiers, depuis son arrivée en France, au début des années 2000. Elle est Celle qui s'enfuyait de Philippe Lafitte. Elle est devenue celle qui s'est enfuie dans les livres. Peut-être cela ne serait-il jamais arrivé si elle n'avait renversé un café sur son futur éditeur dans le compartiment-bar d'un TGV au départ de Marseille...
Phyllis vient d'avoir soixante ans et en paraît quarante. Chaque jour au petit matin, à six heures, après avoir écrit pendant trois heures, elle part de la ferme où elle vit, dans un causse, avec son chien, un vieux labrador aux yeux de phoque, qu'elle a adopté dix ans plus tôt, et elle court dans la lande, en toutes saisons, qu'il fasse encore nuit ou déjà jour.
Ce matin-là, c'est l'événement: un coup de feu explose. Elle était visée. Son chien est touché. Elle comprend que ça recommence. Phyllis se souvient de sa fuite des États-Unis il y a quarante ans, de la petite fille noire qu'elle était auparavant, dans les années 1960, puis de l'adolescente qu'elle fut, au temps de la révolte, des affrontements et de la peur.
Celui qui lui a tiré dessus, c'est Danny DiCorso. Il est issu d'une famille d'immigrés génois aux États-Unis. Il a traversé l'Atlantique pour la vendetta de sa mère, Antonella, persuadée que Phyllis est responsable de la mort de sa fille Giulia qui faisait partie du même groupuscule qu'elle, l'Armée Révolutionnaire du Peuple, dirigé par un étudiant noir.
Danny a raté la femme noire. Il doit maintenant atteindre celle qui a cru que l'isolement était le prix à payer pour sa liberté. C'est jusqu'à présent pourquoi elle a peu de contacts avec son éditeur, Guillaume Migennes, avec son amant, Paul Etchegoyen. Mais l'événement de l'autre matin la décide à accepter d'être l'auxiliaire de Laurence à l'école...
Son salut ne se trouve-t-il pas plutôt, toujours et encore, dans la fuite? Quoi qu'il arrive, ne pourra-t-elle pas toujours fuir dans l'imaginaire, le seul endroit où elle ne [sera] pas poursuivie par l'hostilité du monde? Ou en rendre compte? Car l'écriture, qu'elle maîtrise, est pour elle un exutoire, une consolation, dans cette langue française apprise avec son père...
Francis Richard
Celle qui s'enfuyait, Philippe Lafitte, 224 pages, Grasset (sortie le 7 mars 2018)
Livre précédent:
Eaux troubles BSN Press (2017)