Lectrices affutées, lecteurs aiguisés, la mort du violoniste, compositeur et pédagogue Didier Lockwood, le 18 février 2018, n'a pu vous échapper. La veille encore, il jouait au Bal Blomet à Paris.
Voici ce qu'en écrit Philippe Carles, ancien rédacteur en chef de Jazz Magazine, dans " Le nouveau dictionnaire du Jazz " (Paris, collection Bouquins, éditions Robert Laffont, 1460 pages, 2011).
" Constamment tendu vers les registres élevés avec tous les effets, et moyens techniques, d'un lyrisme vibrant, il fait preuve, au-delà d'une évidente virtuosité dans le prolongement d'un Grappelli (et de la même tradition de luxe et de "facilité" mélodiques) d'une exceptionnelle légèreté de " toucher " et s'impose comme un des violonistes les plus impressionnants et les plus séduisants des années 90. "
Ce jugement vaut aussi pour les années 2000 et 2010.
L'extraordinaire aisance de Didier Lockwood, je m'en souviens bien. Un concert à Pleurtuit (35), pas loin de la Manche, sur les rives de la Rance, en 2004. Il alternait entre un violon en bois mais branché et un violon en métal bleu électrique. C'est sur ce dernier qu'il finit par une envolée marine. Le vent, les vagues, les mouettes, la tempête, tout y était, sortait de son violon à grandes envolées lyriques. Il créait un monde juste le temps de ce morceau.
Ce qui m'a le plus marqué chez Didier Lockwood, c'est son exceptionnelle ouverture d'esprit et sa passion pour la transmission. Fils d'un professeur de violon classique, il avait créé l'école dans laquelle il aurait rêvé d'être, enfant, le Centre des musiques Didier Lockwood à Dammarie-les-Lys (77), la seule école de violon Jazz au monde. Elle lui survivra laissant une autre belle trace de lui avec ses enfants et sa musique.
En 2003, pour Citizenjazz, j'avais rencontré Didier Lockwood dans son école de Dammarie-les-Lys. Il m'avait raconté deux choses qui m'ont marqué:
- d'abord qu'il avait balancé l'album du duo Stéphane Grappelli-Yehudi Menuhin parce que Menuhin ne sachant pas improviser, il avait fallu lui écrire les parties improvisées. Yehudi Menuhin savait lire, jouer, interpréter au violon comme personne mais pas créer à partir de sa seule imagination. Cela s'entendait et le résultat l'ennuyait.
- ensuite, que Maxime Vengerov, la Superstar actuelle du violon classique, était venu le voir en lui disant: " J'en ai marre d'être une moitié de musicien. Apprends moi à improviser "
Didier Lockwood n'était ni une moitié de musicien, ni une moitié d'homme. Il était plus grand que la vie. J'écris ces lignes en écoutant son " Tribute to Stéphane Grappelli " enregistré en 2000 avec Niels Henning Orsted Pedersen (contrebasse) et Biréli Lagrène (guitare). Un délice. De ces 3 musiciens, seul Bireli Lagrène est aujourd'hui en vie. Les musiciens s'en vont, leur musique demeure.
Au festival international de Jazz d' Antibes-Juan-les-Pins en 1990, Didier Lockwoood dialogue avec Martial Solal sur " Solar " ( Miles Davis). La chemise et le pantalon de Martial Solal sont un hommage à Stéphane Grappelli. Solaire.