Ils se retrouvent trois hommes dans un bateau, Gaspard Maunoir, Ali Zaher et Raffy Boyadjian:
Chacun d'eux, si différentes qu'aient été sa provenance et son histoire, avait tourné le dos à son père et avait fait de l'Impératrice des Indes le vaisseau de son émancipation...
L'Impératrice des Indes est un paquebot. Il s'apprête à faire son voyage inaugural de Southampton à New York avec 2'136 passagers à bord.
Les trois hommes ne sont pas des passagers. En ce mois de juillet, ils ont été enrôlés pour cette traversée de six jours sous la direction de Fedora-Fanny: Gaspard comme accompagnateur, Ali en cuisine et Raffy au service du nettoyage.
Harry Koumrouyan raconte d'où ces trois hommes viennent et où ils vont.
Il s'attarde d'abord sur les provenances de Gaspard et de Raffy, retarde le moment de dévoiler celle d'Ali, comme un bon conteur se garde une histoire en réserve, pour inciter l'auditeur ou le lecteur à l'écouter ou le lire jusqu'à la fin.
On sait très vite que Gaspard vient de Genève, qu'il est le fils, longtemps désiré (ils renoncent du coup à adopter un Ali), de Rodolphe, professeur de lettres, et de Louise, cantatrice célèbre pour son rôle d'Anna Bolena de Donizetti.
On apprend ensuite que Raffy vient de Manhattan, qu'il est le fils de Hrant, brillant médecin arménien, et d'Elizabeth Winslow, descendante d'une famille protestante venue sur le May Flower, parents donc de milieux très différents.
On découvre enfin qu'Ali vient de Kaboul, qu'il est le fils d'un homme sans scrupules, n'hésitant pas à brader la sécurité de son fils pour gagner des dollars, et de Farah, d'origine iranienne, qui avait été une beauté dans sa jeunesse...
Où ces hommes vont-ils après la traversée au cours de laquelle ils ont fait la connaissance d'un autre compère, Joseph Landolt, violoncelliste de son état, que le lecteur aura déjà croisé s'il a fréquenté le précédent roman de l'auteur?
Les trois vont s'installer ensemble, en colocation, une année durant, comme une halte dans leur histoire, avant d'en repartir, une fois bouclée cette parenthèse de leur vie, qui leur aura été féconde à ces trois qui, finalement, sont quatre...
Ils auront tué le père (et le lecteur aura compris pourquoi il le fallait). Ce qui ne signifie pas qu'ils ne savent pas ce qu'ils lui doivent, mais plutôt qu'ils ont su démêler en eux l'inné de l'acquis et de ce qu'il leur reste à acquérir, pour s'accomplir.
Francis Richard
L'Impératrice des Indes, Harry Koumrouyan, 320 pages, Éditions de l'Aire
Livre précédent:
Un si dangereux silence (2016)