Dans une démocratie apaisée, le débat politique et social n'aurait nul besoin de stigmatiser une catégorie sociale, pas même les plus riches du pays.
Pourtant, l'actuel gouvernement tend des perches.
Comme Sarkozy en son temps, qui avait inauguré cette démarche du dénigrement récurrent de groupes entiers, Jupiter reprend l'ouvrage, avec moins d'outrances et plus de cynisme clinique - chômeurs, migrants et immigrés, cheminots et salariés, fonctionnaires en général ou professeurs en particulier, personne n'est à l'abri de cette nouvelle chasse à courre.
Depuis quelques semaines, on observe avec attention comment la macronista lance son offensive contre la "catégorie du mois", les cheminots: d'abord un rapport patronal qui permet de lancer des "idées-choc" de "briser les tabous" en tous genres; puis l'attention médiatique se focalise sur la fermeture des petites lignes, la hausse des prix et... le statut des salariés; enfin, quelques jours plus tard, un ex-directeur devenu premier ministre concentre le sujet sur les cheminots. "Les syndicats vont apparaître comme les défenseurs d'un statut privilégié que les Français réprouvent" a confié Emmanuel Macron en début de semaine. Jupiter ne se cache pas d'avoir désigné les cheminots à la vindicte médiatique et populaire.
Une troupe de cadres supérieurs véhiculés en voiture rapide avec chauffeur donne désormais des leçons de transports publics, la démarche est cocasse.
La description par Edouard Philippe, lundi 26 février, de cette litanie des maux que traverserait une SNCF, sans jamais mentionner que l'entreprise a dégagé un peu plus d'un milliard d'euros de bénéfices l'année précédente, avait quelque chose de lénifiant.
Il est pourtant un statut qui mériterait une attention particulière, le statut des riches. Ils sont peu nombreux, très peu nombreux ces premiers de cordées. Ils représentent pourtant l'essentiel des pouvoirs, des fortunes, et des lieux de décisions. On sait mal d'où ils détiennent cette place de premier de cordée. La cordée n'a jamais voté pour leur première place. La richesse n'est pas un mal, mais en France, elle est un secret aussi bien gardé que la stigmatisation des "statuts" des moins fortunés est devenue un sport national, une sorte de chasse à courre.
Le culte du secret
On aimerait mieux les connaitre, disposer de cette même richesse d'informations dont le gouvernement est capable quand il s'agit d'attaquer un "statut" : d'où vient leur fortune ? Combien sont-ils ? Combien payent-ils réellement d'impôts ? Quand le gouvernement supprime l'ISF, il faut une pétition, rien que cela, pour que le ministre de l’Économie Bruno Le Maire donne enfin quelques chiffres, mais pas trop: "Pas question de remettre en cause le secret fiscal" justifie-t-il. Évitons une "chasse à l'homme" prévenait Christophe Castaner. Sans blague... La chasse à cour contre les pauvres le dérange moins.
Le statut des riches se protège d'abord par une omerta sur la réalité de leur importance.
Un ministre, un maire de grande ville, un député se situe statistiquement dans le dernier décile.
Qui dit mieux ?
Nier l'inexistence des classes moyennes a un but politique, éviter de laisser le dernier décile dans un face à face politiquement désastreux avec les autres 90% de la population.
Les riches se cachent. Sinon ils auraient la trouille.
La suppression de l'ISF
En octobre dernier, Le Maire a fini par lâcher quelques données incomplètes: "Nous allons rendre 400 millions d'euros aux 1 000 premiers contributeurs à l'ISF." Les détails de ces heureux millionnaires sont livrés au compte goutte: "Les cent premiers contributeurs à l’ISF paient 126 millions d’euros. Les cent premiers patrimoines paient 73 millions d’euros d’ISF." Bizarrement, nulle étude ne fut publiée sur l'origine de ces richesses: d'où vient le patrimoine de ces fortunés ? Héritage ou méritocratie ?
Mais il y a mieux.
La Flat tax
Grâce à Jupiter, les revenus du capital sont désormais moins taxés que les revenus du travail: impôts et cotisations sociales sont plafonnés à 30% sur tous les revenus financiers depuis le 1er janvier 2018. Environ 450 000 foyers aisés sont les bénéficiaires de la mesure les plus coûteux pour les finances publiques . Qui sont-ils ? Comment se répartissent leurs revenus financiers entre placements court, moyen et long terme, plus-values et épargne ? Chut ! C'est secret !
A l'exact inverse du discours macroniste, la Flat Tax ne sert pas "l'investissement productif", c'est-à-dire dans le capital des entreprises: elle sert plutôt les placements à court terme comme l'ont rapidement souligné les conseillers en placement: inutile d'attendre 4 ou 8 ans suivant les anciennes formules de l'assurance vie pour réduire les prélèvements fiscaux. Pire, ce plafonnement est sans contre-partie ni contrainte. En son temps, la loi TEPA (le "paquet fiscal" de Sarkozy en 2007), avait permis de défiscalisé de l'ISF sous condition de placement des fonds exonérés dans des entreprises. Malgré les abus, il y avait au moins une contrainte. Avec Macron, rien de tout cela. Le cadeau est généreux.
L'évasion fiscale
Environ 800 contribuables s'enfuient chaque année pour fuir l'impôt national. Bizarrement, personne ne s'interroge sur le sens qu'il y a à leur laisser une nationalité française alors qu'ils échappent désormais au minimum exigible pour être Français, le paiement de l'impôt.
C'est un autre avantage du statut de riche: on peut s'échapper pour fuir l'impôt. On a des conseillers, des banques qui parfois sont attrapées par le scandale grâce à des lanceurs d'alerte malheureusement rapidement sanctionnés et terrorisés, ou des journalistes qui font leur travail d'investigation jusqu'au bout malgré les pressions.
Quand l'évasion devient une fraude, elle échappe à la Justice des simples citoyens. Cette exception française s'appelle le "verrou fiscal": c'est au ministre des Finances, généralement sociologiquement proche des suspects, de décider comment les poursuites, si poursuites il y a, se dérouleront.
"Au plan général, il y a lieu de rappeler que l’intervention de la commission dans la sélection des dossiers devant être déférés au pénal s’inscrit dans le cadre d’une politique globale des pouvoirs publics." Commission des infractions fiscales, rapport 2016.La vie est belle quand on a le statut des riches.
La défiscalisation des belles demeures
Soucieux de calmer la grogne après la suppression de l'ISF, le gouvernement a mis en avant un nouvel impôt, l'IFI, l'Impôt sur la Fortune Immobilière. Ce nouvel impôt rapportera le quart de l'ancien ISF, moins d'un milliard d'euros par an.
Macron a aussi augmenté les droits annuels applicables aux "bateaux de plus de 30 mètres et 750 kW", et de 1 point l’imposition de la plus-value sur la vente de lingots d'or (11 %, contre 10 % en 2017). Au total, on espère une dizaine de millions d'euros de rentrée fiscale. Fichtre! Bel effort !
Rassurez-vous, il y a d'autres solutions de défiscalisation, comme le classement en monument historique auprès de la Direction régionale des affaires culturelles. L'IFI lui-même n'est pas excessif: 9100 euros par an si votre patrimoine immobilier atteint les 1,3 million d'euros.
Pour financer ces nouveaux bénéfices du statut des riches, le gouvernement a notamment décidé d'augmenter la CSG pour tous, sauf les retraites inférieures à 1200 euros par mois. La retraite moyenne en France est de 1300 euros, et le seuil de pauvreté fixé à 1100 euros.
Sans commentaire.
Environ 60% des retraités sont frappés par cette augmentation.
Les meilleures écoles
L'accès aux meilleurs établissements scolaires et universitaires est garanti pour celles et ceux qui ont le statut de riches: les classes de leurs enfants ne sont pas surchargées, les professeurs absents sont remplacés rapidement; ils ont accès à des classes bilangues; les résultats aux examens et concours nationaux sont meilleurs que la moyenne. La carte scolaire, qui fige les ghettos, leur garantit de bonnes places pour leurs enfants.
Il y a peu, le gouvernement Macron a même promis un bac réformé sur-mesure pour les enfants des classes fortunées: un contrôle continu qui permettra de distinguer le bac obtenu dans les bons et les moins bons établissements et un grand oral final comme dans les grandes écoles. Que du bonheur.
L'accélération des fermetures de classes en zones rurales depuis que Macron est aux commandes ne les concernent pas. Pas davantage que la suppression d'environ 100 000 emplois aidés qui affectent les classes surpeuplées des ZEP.
Le meilleur visa, les meilleurs soins
Le statut des riches octroie à ses bénéficiaires tout ce qu'il faut pour se loger, et se soigner. Pas de jour de carence en cas de maladie, la mutuelle et la sur-mutuelle sont là. Pas de problème d'accès aux soins, les déremboursements ne les concernent pas.
Le riche n'a pas de problème de soins, ni de visa. Il "aide" l'économie. L'immigré quand il est riche trouvera les portes grandes ouvertes. Sarkozy avait accéléré la signature de conventions fiscales favorables pour les investisseurs du Moyen Orient.
Macron aime accueillir à Versailles, privatiser le vestige le plus bling-bling de l'absolutisme royal français. Mais il faut être puissant et riche. Il n'y a pas de sommet social à Versailles. Ni ailleurs d'ailleurs.
L'Assemblée nationale élue en juin 2017 ne compte quasiment plus aucun(e) élu(e) issu(e) des classes populaires. "Employés et ouvriers représentent la moitié de la population active, mais seulement 3 % des députés" notait l'Observatoire des inégalités après les élections législatives. Le constat au Sénat et dans les collectivités locales les plus importantes n'est pas meilleur: la France d'en haut est sociologiquement surreprésentée dans les classes qui décident, proposent, votent les lois.
Il est toujours rassurant de savoir que l'Etat est contrôlée par les siens.
Un échantillon représentatif de la France des riches désigne au plus grand nombre lesquels parmi les classes populaires devront se conformer au nouveau monde.
La vie est belle.
La surreprésentation médiatique, le "parti médiatique"
Étrangement, ces riches si présents déjà partout et si peu nombreux dans la population ont pourtant le contrôle économique des médias principaux. En début de semaine, Jean-Luc Mélenchon a publié une violente diatribe contre les médias. La salve est violente, sans concession: "La haine des medias et de ceux qui les animent est juste et saine". Sans surprise, malheureusement certains journalistes se sont confondus avec leurs employeurs. Ils ne lisent même pas la seconde phrase du billet de Mélenchon, pourtant explicative du reste qui suit: "Pourquoi nous haïssent-ils à ce point ?" La diatribe est une réponse, quelques éditocrates et autres journalistes l'ont prises pour une attaque. Il suffisait de lire la seconde phrase, mais sans doute était-ce déjà trop.
"Nous subissons un bashing quotidien depuis six mois pleins. Il y a toujours une histoire contre nous en cours. Et à côté de cela, il y a aussi plusieurs tweets par jour de plusieurs bonzes du journalisme plus ou moins en détresse de notoriété, les agents des communautés qui débitent leurs éléments de langage, l’extrême droite et ainsi de suite. Tant de monde se bouscule au portillon pour nous salir ! Sans compter les humiliations et les mépris dont nous accablent les chapelles de la toute « petite gôche »." Jean-Luc Mélenchon, 26 février 2018.Il n'y a aucun procès d'intention à faire aux propriétaires des médias privés principaux (le public est sous le coup d'une menace de réforme en profondeur, après avoir été qualifié de "honte de la République" par le monarque en place). Mais simplement reconnaissons que nos médias privés sont possédés non par leurs lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, mais par des intérêts commerciaux privés dont les têtes de ponts ne brillent pas par leur sensibilité à la cause des classes populaires.
"Tout cela ne nous fait donc pas perdre de vue l’essentiel. Il s’agit de la lutte pour le pouvoir. Les neufs milliardaires payent cher pour qu’une armée de plumes et de lecteurs de prompteurs jaspinent dans les micros les derniers ragots qui peuvent être dégainés."Il s'agit plus que d'une lutte pour le pouvoir. Il s'agit d'un agenda politique et social. Il y a d'abord la loi. Les deux tiers de la parole politique radiophonique et audiovisuelle sont réservés à l’exécutif et au législatif. Deux tiers du temps consacrés aux prises de paroles politiques des journaux radio-télévisées doivent être accordés à Emmanuel Macron et ses supporteurs. S'ajoutent ensuite la presse écrite, et ses supports numériques. Il ne s'agit pas de haïr les journalistes, bien au contraire. Mais de haïr ce système et ses porte-voix.
Ami(e) macroniste, as-tu au moins le bon statut ?