Aucune pacification en effet n’est attendue du temps post-mortem :
Après ma mort
je chasserai les anges
dans le ciel
C’est bien l’exacerbation de la guerre des contraires, leçon apprise sans doute chez Héraclite, qui manifeste le vivant. La vie après la mort n’est pas la vie sans la mort. N’est donc pas non plus la mort sans la vie, mais le lieu où la vie et la mort sont un, dans leur lutte impossible à terminer. Sans doute sont-ce l’œuvre et la postérité, et la remémoration par les vivants, qui maintiennent ce combat des opposés où perdure un peu d’une vie qui a fini. Nulle illusion consolante ici, pourtant :
Même l’éternité
ne dure
que tant que nous durons
Les contraires ainsi ne sont pas les deux faces d’une même pièce, ils sont pris dans une même positivité, une positivité éphémère du mouvement. La vie et la mort ne sont pas l’endroit et l’envers l’un de l’autre mais dès chacun d’eux le tout de l’un et de l’autre. De même que la mort a son chemin dans la vie, par l’alentissement et le rapetissement qu’elle exerce dans la vieillesse, de même la vie traverse la mort, et la traverse de part en part, comme si elle n’était proprement rien, rien que quantité négligeable et méprisable, ainsi qu’il est dit dans cet étonnant poème :
Mort
je te connais
je te provoque
je ne te déguiserai d’aucune croyance
Je ne te donnerai pas mes pensées
ni mes paroles
Je ne te donnerai pas mon ombre
qui me devance à chaque pas
Comme aux chiens
je ne te donnerai
que mes os à ronger
Ce mépris pour la mort, ce si beau mépris est l’inverse d’une méprise quant à la mort car au fond Anise Kolzt vit toujours au présent et de ce point de vue la mort n’existera jamais. Le présent mord sur le passé et le futur, mais il y mord avec l’agressivité de la vie présente, nullement parce qu’il serait annihilé par eux.
Que faire du passé
qui est faux
dans sa vérité ?
Le passé est faux dans sa vérité : il est vrai comme passé mais faux puisque passé, parce qu’appartenant à ce qui ne peut revenir, inutilisable pour le présent et frappé de désuétude, relégué en tout cas dans un temps où l’on n’est plus, par la force des choses. Les contraires chez ce poète ne se résolvent pas dans une zone grise et moyenne où ils se brouilleraient. C’est dans leur antagonisme maximal, c’est en s’opposant radicalement qu’ils s’annulent et s’anéantissent. C’est lorsque le contraste est le plus marqué entre des opposés, presque schématique, que se tire entre eux un trait d’égalité.
Le temps est sans visage
sans bruit
Il se confond
avec le jour
Il se confond
avec la nuit
Tout se rejoint dans l’irréductible. En tout cas cette poésie ne résout pas les contradictions, elle les maintient dans une ambivalence qui garde son mystère, dont le mystère est le principe actif. Les contraires ne se frôlent qu’à l’endroit où ils se renversent l’un dans l’autre :
La lumière
est un autre aspect
de l’obscurité
Faut-il entendre que l’obscurité est déjà de la lumière ou que la lumière est encore de l’obscurité ? On ne saura pas mais cette simple formule, dans sa concision toute sentencieuse, sauvegarde l’indécidable comme la seule vérité qui vaille. Rien de lénifiant chez Anise Koltz, aucune édulcoration, sa méditation est forte parce qu’elle est « amorale », pour employer l’un de ses mots, et même elle n’est pas exempte d’une certaine violence, salvatrice. Si cette poésie ne cesse d’interroger l’ombre et la lumière, la fin et le commencement, elle ne concilie rien, elle ne console pas mais laisse l’inconciliable à l’inconciliable. Elle ne livre pas l’explication mais continue d’interroger. Ce sont les derniers vers du recueil : « Nous perdons les questions / à travers les réponses ».
Laurent Albarracin
Anise Koltz, Pressée de vivre suivi de Après, Éditions Arfuyen, 208 p., 2018, 10 €.