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Se choisir à Diên Biên Phù

Publié le 01 mars 2018 par Africultures @africultures

Diên Biên Phù, premier roman du poète et slameur camerounais Marc Alexandre Oho Bambe, sort ce 1 mars chez Sabine Wespieser Editeur. Une œuvre qui nous amène au Vietnam, pour une histoire d’amour et de guerre.

« Je ne peux pas me choisir en venant avec toi, Alexandre, je ne peux pas m’enfuir. Mon pays a besoin de moi, ma famille aussi. Je ne peux pas me choisir » : voilà les mots que Mai Lan, jeune femme vietnamienne adresse, en 1953, à Alexandre, soldat français engagé dans la guerre en « Indochine ». C’est pour enfin se choisir et se reconnecter avec la partie la plus profonde de lui-même que le protagoniste retourne au Vietnam deux décennies plus tard, en abandonnant à nouveau sa femme – et cette fois-ci – ses enfants. Mais remettons les choses dans l’ordre. Si Alexandre est parti en guerre contre un pays inconnu, vingt ans auparavant, c’est parce qu’il se sent, avant tout, en guerre contre lui-même, en fuite d’un mariage arrangé par ses parents avec une femme dont il n’est pas amoureux, Mireille. Cette femme qui accepte qu’il parte à nouveau, à la recherche d’un amour qu’il a laissé au loin : « J’ai quitté l’Indochine et Mai, mais l’Indochine et Mai ne m’ont jamais quitté » dira-t-il pour résumer ces années de trouble intérieur. Oui, parce c’est qu’au Vietnam, à Diên Biên Phù, qu’il est né et mort en même temps. Il y est né parce que c’est là qu’il découvre le véritable amour, passionnel et évident, cette bulle d’opium et de tendresse qui se déploie à l’Hôtel de Paix d’Hanoi, seul endroit où le bonheur individuel est possible et total. Un amour qu’il partage avec Mai Lan, fille qui rit fort, aime danser, dessiner et qui deviendra, dans l’absence, une « amante fantasque, amour fantasme, amie fantôme ».

Mais à Diên Biên Phù il y est mort aussi, parce qu’il doit quitter son amour et parce qu’il perd, symboliquement, son innocence et sa force vitale : touché par une balle lors d’une bataille, il découvre la profonde vulnérabilité humaine. C’est à ce moment-là qu’il fait la deuxième rencontre-clé de sa vie, celle avec Diop, qui lui sauve la vie. Diop, dont le prénom est Alassane, est un soldat sénégalais du même régiment qu’Alexandre: un homme fier et calme, une force tranquille qui lui apprend à considérer les choses d’un prisme différent. Par exemple, l’honneur ne serait pas celui de la patrie dont parle la propagande, mais celui des hommes qui essaient de garder leur humanité dans un contexte où tout est fait pour la leur enlever. Alassane, dans le roman de Marc Alexandre Oho Bambe, est le cousin imaginaire de Alioune Diop, fondateur de la mythique maison d’édition Présence Africaine. Une fois rentré à Paris, en effet, Alexandre fréquente le milieu de Présence, mais aussi celui des Editions Maspéro. Dans une ambiance engagée, faite de meetings politiques et soirées jazz, il commence une correspondance avec Diop qui nous témoigne des luttes, en France comme au Sénégal, pour les indépendances. Ces lettres s’écoulent le long du roman et nous embarque dans une oscillation permanente entre le passé et le présent. Un passé qu’ils ont partagé avec les Viet-Minh et les Bodoi, ces soldats-paysans luttant contre l’impérialisme et transportant les canons à dos d’homme, sur les montagnes, dans la vallée, à travers les chutes d’eau et la jungle, sous un soleil de plomb. Un passé où  le protagoniste apprend à penser par lui-même, à voir dans l’autre : « un autre chemin de croix, une autre fois. Ni plus ni moins condamnable, ni plus ni moins acceptable, juste autre« .

Et de quoi est fait, alors, le présent du roman ? La capitale du pays, Hanoï est une ville où ne manquent pas des spectacles de marionnettes sur l’eau, des fêtes, du beau temps et de la légèreté. Cela n’empêche pas qu’Alexandre soit un homme silencieux et solitaire, un martini Dry dans une main, une cigarette dans l’autre. Un homme qui tousse beaucoup et qui vit dans le passé au point d’entraîner des inconnus dans sa recherche de Mai Lan. Néanmoins, tout doucement la parole habite à nouveau ses lèvres, et accompagne son écriture.

Dans cet écrit, à la première personne du singulier, les poèmes, les slams, les élans d’imagination, les allitérations et les jeux de mots, nous plongent dans un romantisme sans privations. Une oeuvre qui montre comment le choix des mots pour se décrire est aussi le choix de la vie qu’on souhaite mener, de la vie qu’on assume avoir été la nôtre : « Toute ma vie il fera beau. Parce que je t’ai rencontrée. Et il fera froid aussi. Parce que je t’ai perdue. Il fera beau et froid. Je pars et tu restes. Avec moi. Tu restes et je pars. Avec toi. Merci de m’avoir fait naître à moi-même. Tant de fois. « . Un premier roman intime et sensuel.


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