Le nationalisme économique

Publié le 27 février 2018 par Raphael57

Ces derniers temps, j'ai consacré beaucoup de billets aux dysfonctionnements de la zone euro, tant les questions qui m'ont été posées à ce sujet furent nombreuses. J'ai ainsi évoqué entre autres la possibilité d'un éclatement de l'Union européenne, la monétisation des dettes publiques, qui effraie tellement les Allemands, les baisses de salaires qui résultent de la concurrence mortifère au sein de la zone euro, l'énorme excédent extérieur de la zone euro qui est le signe évident d'une pathologie économique grave... Aujourd'hui, je vous propose une brève analyse d'un phénomène que l'on peut qualifier de retour au nationalisme économique.

La mondialisation

Dans l'esprit de l'OMC, il s'agit de faire tomber les barrières et frontières, afin de créer un grand marché mondial unifié où les biens et services pourraient circuler librement. Cela déboucherait sur une meilleure allocation des ressources et des gains de productivités, donc plus de croissance et des prix plus bas pour les consommateurs. Bref, la bonne vieille histoire de la triade commerciale :

[ Source : Sciences Humaines ]

Hélas, la mondialisation a très vite tourné à l’aigre pour les emplois des pays du Nord :

[ Source : Ouest France ]

Et avec le développement des outils numériques, c'est carrément vers cela que l'on tend (même si l'on est pas obligé d'être en accord avec toutes les idées développées dans ce livre de T. Friedman) :

Un tel monde dominé par les géants de l'ère numérique soulève à l'évidence d'insurmontables questions économiques, sociales (chômage, homme inutile ?,...) mais aussi politiques (identité nationale, sécurité des données...). Et je vous laisse imaginer l'avenir si les cauchemars rêves d'intelligence artificielle et de transhumanisme devaient se concrétiser...

Le retour du nationalisme économique

Rien d'étonnant dans ces conditions, que le nationalisme économique ait le vent en poupe. Aux États-Unis, d’aucuns ont voulu gommer les ravages de la mondialisation heureuse et ont, ce faisant, porté paradoxalement le roi du business Trump au pouvoir, car celui-ci promettait de s'intéresser à l'Amérique en priorité.

Faut-il rappeler qu'une majorité d'Américains a connu une stagnation ou un recul du revenu réel depuis entre 1990 et le début des années 2010 ?

[ Source : Natixis ]

Pire, si on regarde le haut de la distribution, ce sont 85 % de la hausse des revenus entre 2009 et 2013 qui ont été captés par le 1 % les plus riches... J'avais d'ailleurs rendu compte de l'ouverture des inégalités dans ce billet où j'avais notamment expliqué qu'en raison d'une fiscalité de moins en moins progressive, les 1 % les plus riches aux États-Unis ont capté une part encore plus importante du revenu national tandis que les 50 % les moins riches ont vu leur part diminuer :

[ Source : WID ]

L'un dans l'autre, le taux de pauvreté mesuré par le Census Bureau atteignait 15,5 % de la population en 2015, soit une augmentation de 2 points depuis 2013 ! Ainsi, le nombre d'Américains qui se nourrissent grâce aux bons alimentaires a quasiment doublé depuis le déclenchement de la crise pour atteindre 43 millions, soit 13 % de la population ! Quant aux inégalités de patrimoine elles sont criantes : 10 % des ménages détiennent près de 75 % du patrimoine américain !

De plus, à l'instar de ce qui est en train de se produire en Europe, les États-Unis font face à la destruction des emplois intermédiaires, que certains appellent aussi de manière évocatrice la malédiction des classes moyennes. Il s'agit en fait d'une disparition des emplois intermédiaires accompagnée d'une concentration des emplois aux extrémités (emplois peu qualifiés et emplois très qualifiés), c'est-à-dire à une bipolarisation du marché du travail, que le développement des outils numériques ne fait qu'accélérer.

En ce qui concerne l'emploi dans le secteur manufacturier, qui traditionnellement offre des conditions de revenus bien meilleures, il est lui aussi en perte de vitesse depuis 20 ans même si la valeur ajoutée du secteur se maintient, comme le montre le graphique suivant :

[ Source : Natixis ]

Bref, après avoir vécu sous le consensus de Washington qui faisait de la mondialisation un phénomène nécessairement favorable, voilà que de plus en plus de gouvernements remettent en cause les potentiels bienfaits attendus, quitte pour cela à se fâcher avec leurs partenaires commerciaux !

Les formes de nationalisme économique

La vague de nationalisme économique, une fois partie des États-Unis, ne pouvait que toucher le vieux monde et l'Asie. Bien entendu, ce n'est pas dans la France SA de Macron que la critique de la mondialisation sera la plus acerbe. Néanmoins, lorsque le gâteau à se partager ne grossit plus, notamment dans l'industrie qui est pourtant grande pourvoyeuse d'emplois et de gains de productivité, les contestations se font de moins en moins sourdes et le nationalisme économique peut alors prendre les formes suivantes :

 * le développement des circuits courts, qui font la part belle aux produits locaux ou au moins nationaux ; cela peut s'accompagner d'une préférence nationale inscrite dans la loi (Buy American Act aux États-Unis) ;

 * la protection des entreprises nationales contre le rachat par des capitaux étrangers au nom par exemple de l'intérêt stratégique, l'histoire récente (Alstom, Alcatel, Pechiney...) ayant démontré à l'envi que les rachats par des actionnaires étrangers conduisent trop souvent à des disparitions massives d'emplois et des délocalisations des centres de recherche ;

 * le protectionnisme, qui peut bien sûr prendre la forme de droits de douane comme l'évoque Donald Trump, mais aussi des interdictions liées à des normes sanitaires (Chine) ;

 * l'utilisation habile du taux de change pour favoriser les entreprises nationales au détriment des non-résidents ;

 * le contrôle des capitaux comme c'est le cas en Chine depuis 2007, afin de se protéger contre les fortes variations économiques provoquées par l'entrée et la sortie de flux de grandes tailles ;

 * l'utilisation de politiques économiques non coopératives, comme ce fut le cas en Allemagne et qui lui a permis de regonfler sa compétitivité au détriment de ses partenaires européens au mépris des règles communautaires.

Tout cela peut bien évidemment conduire à une baisse sensible du commerce international, des flux d'investissements étrangers, à une concurrence fiscale mortifère et à une guerre des changes. Mais face à la situation dégradée que vivent nombre de ménages et d'entreprises, peut-on reprocher à un gouvernement de chercher à en inverser la vapeur ? Certes, le repli sur soi-même est loin d'être la bonne solution pour un pays, mais il est difficile de trouver un juste milieu lorsque l'idéologie dominante prône au contraire la compétition (concurrence) à outrance via la libéralisation au détriment de la coopération...

Et pendant ce temps, la technocratie bruxelloise poursuit son travail comme si rien n'était et n'arrive même pas à nous proposer une liste de paradis fiscaux digne de ce nom... Pire, elle nie jusqu'à l'existence des différences nationales, ravalées au rang de simples particularismes locaux. Pourtant les questions économiques et sociales ne peuvent être pensées en dehors d'un cadre politique. Comment imaginer alors un hypothétique fédéralisme salvateur pour 27 États de l'UE ?