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Comment aborder une œuvre d’art ?

Publié le 26 février 2018 par Savatier

Comment aborder une œuvre d’art ?L’historien de l’art autrichien Otto Pächt (1902-1988), avant tout médiéviste, avait donné, en 1970-1971, une série de cours dont le contenu fut transcrit en un volume récemment réédité sous le titre Questions de méthode en histoire de l’art (Editions Macula, 208 pages, 25 €). Cet ouvrage, tout à fait passionnant, n’est pas vraiment destiné au grand public, mais plutôt aux historiens de l’art, aux artistes et aux amateurs déjà partiellement familiers du sujet.

Certes, les thèmes abordés intéressent tout le monde : Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Comment l’interpréter ? Quelles méthodes employer pour la définir et la comprendre ? Pour autant, la pensée de l’auteur se révèle assez complexe pour le néophyte, même s’il prend soin de l’éclairer par de nombreux exemples concrets dont les reproductions facilitent grandement l’approche.

Otto Pächt aborde en premier lieu la différence entre une « chose d’art » et une « œuvre d’art », le passage de la première à la seconde catégorie s’effectuant au terme d’une investigation dont il propose des méthodes. Il insiste ensuite, tout au long d’une réflexion parfaitement éclairante, sur la double illusion dont tout regardeur peut être victime, d’abord en observant une œuvre d’un œil rarement neutre – « le meilleur historien de l’art est celui qui n’a pas de goût personnel », précise-t-il en citant Alois Riegl – puis en l’interprétant suivant des critères qui lui sont contemporains. La connaissance du contexte historique du temps où l’œuvre fut exécutée reste en effet capitale pour limiter les interprétations trop anachroniques. Ainsi, le spectateur du XXIe siècle qui regarde Les Demoiselles des bords de la Seine de Courbet peine à comprendre le scandale que le tableau suscita lors de sa première exposition car il voit deux femmes allongées sur l’herbe et habillées quand le visiteur du Salon de 1857 possédait toutes les clés pour percevoir, à de nombreux détails, qu’il s’agissait de deux « biches » dont la première ne portait que des sous-vêtements… La notion de titre peut encore aider le travail d’interprétation ou, au contraire, leurrer l’observateur. Longtemps, une toile célèbre de Courbet fut intitulée La Toilette de la mariée, pour la rendre plus attractive, alors que le peintre avait choisi un nom et un thème plus austères dès l’origine, La Toilette de la morte.

Un autre développement de Pächt retient l’attention, qui a trait à l’approche génétique de l’œuvre d’art. La terminologie, aujourd’hui, pourrait sembler ambigüe, puisque cette approche, souvent utilisée en littérature, concerne essentiellement l’étude comparative des différents états d’une œuvre, du projet à la réalisation finale. Les travaux préparatoires de Picasso et les photographies prises par Dora Maar offrent ainsi de remarquables sources s’agissant de Guernica. Mais ici, Pächt entend par méthode génétique la connaissance que l’on peut avoir des prédécesseurs de l’artiste et les filiations que l’on pourrait en déduire. Au passage, l’auteur tord le cou à l’idée souvent répandue selon laquelle les génies de la peinture seraient des créateurs tout à fait à part, qui ne devraient rien à personne : « Même les génies ont une dette envers ceux dont ils proviennent sur le plan artistique », note-t-il en s’appuyant, notamment, sur le cas de Rembrandt.

Delphine Galloy, dans la préface de cette édition, insiste avec raison sur l’obstacle le plus important défini par Otto Pächt, auquel se heurte tout historien de l’art, à savoir l’impossibilité de l’objectivité. Mais « l’une de ses plus grandes vertus, écrit-elle, est d’avoir tenté, tout en tenant compte de cette subjectivité irréductible, d’établir une méthode qui soit la plus rigoureuse possible – c’est-à-dire consciente de ses limites. » Voilà pourquoi ses travaux méritent d’être plus connus en France qu’ils ne l’étaient jusqu’à présent.


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