Préambule : le retour des plumes !
Après 6 mois d’inactivité en raison de la naissance de mon petit chocobo, me voici de retour ! En raison d’une existence forcément chamboulée et après une année 2017 où j’ai beaucoup réfléchis à l’avenir de ce blog, j’ai choisi de consacrer ce dernier aux interviews des acteurs du milieu du manga, des éditeurs dans un premier temps, et peut-être d’autres métiers plus tard. Néanmoins, comme vous l’avez peut-être déjà constaté depuis début février, je vous donne chaque jour un avis rapide sur ma lecture de la veille, le tout réunit sous le hastag #mangadujour, sur Twitter, Facebook et Instagram. Je ne m’interdis pas non plus un papier coup de cœur ici, et le concours photo de l’été continue de faire partie intégrante de ce site. Voilà, fin du préambule.
Et donc c’est un nouvelle rencontre avec la charmante Christel Hoolans qui me permet d’ouvrir le bal des bilans 2017 côté éditeur, pour parler des Éditions Kana ! Cela fait 2-3 ans que l’on travaille sur la fin de Naruto chez Kana, donc il était intéressant de voir comment ils s’y sont vécu cette année 2017, aussi bien avec Boruto qu’avec leurs autres nouveautés de ces dernières temps : Fire Force bien sûr mais aussi leur shôjo (Après la pluie,…), leur seinen (March Comes in Like a Lion,…), leurs créations françaises, etc.
Au delà des séries, une réflexion et une prise de recul sur d’autres sujets du manga ont façonné la seconde partie de l’interview : le choix de licence, l’impression, la publication, le numérique, le piratage… Le quotidien d’un éditeur en somme !
Partie 1 – Le bilan 2017
Christel Hoolans – 9EART+
Bonjour Christel Hoolans, pour commencer quel premier bilan global peut-on faire de cette année 2017 pour le marché du manga en France ?
Christel Hoolans : C’est un marché en croissance. À fin octobre nous étions encore à +9.3 % en valeur pour l’année 2017 par rapport à 2016.
En effet, ça se passe bien !
En novembre, décembre, vu les sorties, je pense que l’on va rester dans cette courbe-là. Le manga continue d’être un incontournable du marché de la BD et représente toujours un tiers en volume.
C’est plutôt une bonne surprise car après 5-6 années difficiles, on se demandait si la reprise du marché du manga en 2015 en France était solide ou juste un sursaut…
Oui et je pense que l’on va continuer dans cette voie là. Il y a de nouvelles licences shônen et seinen qui arrivent et qui sont vraiment bonnes.
Nous allons aussi, sans doute, profiter du tassement du marché du comics. Une partie de notre lectorat ayant basculé vers le comics, avec Walking Dead et tous les films de super héros qui ont suivi. Certains libraires avaient même augmenté l’espace de leur linéaire dédié au comics au détriment du manga, notamment avec l’arrivée d’Urban qui a fait un très beau travail. Il y a donc eu quelques années comics même si nous avons tout de même constaté un retour de la croissance pour le manga, dès fin 2014.
Nous allons donc profiter de ça aussi avec la fin de Walking Dead et peu de films adaptés de comics à venir. Le marché du comics devrait donc être stable, voire en décroissance, et le manga pourrait reprendre de la place car le programme des nouvelles licences qui arrivent, que ce soit chez Kana ou ailleurs, est vraiment top.
Justement, si l’on regarde de plus près, quel bilan 2017 pour Kana ?
Nous sommes très contents. C’était la première année sans Naruto, donc nous pouvions nous attendre à quelques mauvaises surprises… Mais nous préparons depuis longtemps cette transition, tu t’en doutes, vu le poids de la série chez nous. Cela fait deux ans que nous mettons en place l’après avec la Shueisha. Nous avons lancé une grosse opération de fond en 2015 qui a marché au-delà de nos espérances et qui, en plus, est pérenne ce qui nous permet d’avoir un fond stabilisé à la hauteur des ventes de 2015, une année avec trois nouveautés Naruto, ce qui est mieux que pas mal.
Ayant préparé, avec Naruto Gaiden, l’arrivée de Boruto en papier et en numérique, nous avons eu la bonne surprise de voir Boruto décoller bien plus haut qu’attendu. Boruto permet de recruter de nouveaux lecteurs sur la série-mère, aidé en cela par l’opération Naruto 1 , 2 & 3 à 3 euros. Et puis Boruto est un spin-off de qualité.
C’est vrai qu’habituellement les spins-off sont pour les fans seulement…
Et encore, les spin-offs sont souvent critiqués par les fans hardcore qui y voient une simple exploitation commerciale et qui laissent tomber la série pour passer à autre chose. Mais là, par curiosité, ils sont allés voir et comme c’est réussi, ils restent accros à l’univers. En plus la version animée est arrivée en simulcast en même temps que le tome 1, ce qui arrive très rarement. Donc les étoiles étaient alignées…(Rires)
Donc voilà chez Kana en 2017 ça marche bien. Nous sommes en croissance malgré l’arrêt de Naruto, et ce, sans augmenter la production pour y pallier, c’est donc plutôt une bonne nouvelle.
Ecoute nous sommes assez satisfaits, il se classe 3e du top des meilleurs lancements shônen 2017, juste après Dragon Ball Super et Boruto. C’est plutôt très bien ! (Rires)
Nous avons publié quatre tomes en 2017, de mai à décembre, et un coffret en fin d’année. Nous avons fait une super promo, nous nous sommes beaucoup amusés d’ailleurs. Et en 2018 nous remettons le couvert avec plein de surprises.
C’est une excellente série, un peu déroutante à ses débuts, mais auquel tu accroches rapidement. Plus tu avances dans l’histoire, mieux c’est.
C’est vrai que l’on sent qu’il commence à se passer quelque chose à partir du tome 4…
Alors continue car ça monte en puissance jusqu’au tome 7 et ça devient génial !
Et qu’est-ce que ça donne niveau ventes, est-ce que vous atteignez vos objectifs ?
Nous sommes à 30 000 exemplaires écoulés du tome 1. C’est donc plutôt bien parti !
En tout cas deux titres Kana dans le top vente des tomes 1, c’est en effet une bonne année pour vous !
C’est génial même
Donc nous avons eu un peu peur avec ce bad buzz et en fait ça décolle vraiment bien, il s’est écoulé 23 000 exemplaires à date. (NDLR : c’est à dire fin vers janvier-début février.)
Du coup ça vous donne envie de tester d’autres adaptations de comics en manga ? Il y a du choix dans les catalogues japonais sur cette thématique ?
Pas tant que ça et pas forcément. Notre choix dépendra de la qualité du titre, de l’auteur, etc.
Autre shônen, plus difficile à vendre sans doute : comment se porte Tenjin ?
Pas bien, ce n’est pas le décollage attendu : 24 000 exemplaires vendus à date. Je ne sais pas vraiment pourquoi : est-ce que l’aviation ne passionne pas les lecteurs ou est-ce qu’il n’y a pas assez d’avions dans le titre… C’est pourtant un excellent shônen, avec un dessin à la Obata, et tous ceux qui l’ont eu en main adorent.
Et pour en finir avec le shônen, est-ce qu’il y a eu d’autres choses marquantes pour Kana en 2017 ?
Il y a Assassination Classroom qui continue son envolée de manière assez hallucinante alors que c’est une série finie au Japon. Elle continue encore à recruter. Nous sommes impressionnés : avec seulement 16 tomes, c’est la 7e série du marché et nous avons écoulé 200 000 exemplaires du tome 1. C’est juste énorme. Nous sommes donc très contents d’accueillir le spin-off l’an prochain.
Il y a aussi Black Butler qui continue de bien fonctionner. Nous avons dépassé le million d’exemplaires vendus sur cette série et chaque nouveauté cartonne.
Alors là c’est un pur coup de cœur. On ne s’attendait pas un succès commercial.
C’est un titre qui a été réclamé pendant un certain temps par beaucoup d’amateurs.
Oui c’est vrai.
À une heure où le marché est très concurrentiel, comment se fait-il qu’il ait mis autant de temps à arriver chez nous ?
En fait tout le monde se posait les mêmes questions, je pense. Nous savions très bien que le potentiel commercial de la série n’était pas énorme, même si elle nous faisait envie depuis très longtemps car nous sommes l’éditeur de Honey and Clover que nous avions adoré – et que nous adorons l’univers de cette auteure en général.
Le graphisme est vraiment beau mais le titre est assez complexe : c’est censé être un titre mixte, le dessin est mignon mais il est question d’une tranche de vie assez contemplative donc plutôt adressée à un public féminin. Or, les femmes adultes, même si elles ont lu des mangas plus jeunes, sont bien souvent passées à autre chose après 30-40 ans. On touche un public assez restreint, et le titre est donc difficile à placer sur le marché. Et je pense que tout le monde a pensé la même chose.
Après comme nous l’aimons beaucoup nous avons fini par nous lancer car nous devons continuer à fonctionner au coup de cœur aussi. C’est ça aussi le travail d’un éditeur…
Au-delà des enjeux commerciaux…
Oui exactement. Evidemment tu fais attention à ne pas couler ta boite mais il faut aussi se lancer sur ce genre de titre. Nos collections Made In et Sensei sont dans cet esprit. Nous y publions des titres qui n’ont pas forcément vocation à devenir de grand succès. Un Matsumoto TAIYÔ ou un Inio ASANO n’a jamais fait de grands cartons mais nous pensons qu’il est important qu’il y ait ce genre de titre sur le marché…
Sinon vous ne seriez pas éditeur, vous seriez comptables…
Voilà, ce que je ne suis pas du tout. Chacun son boulot ! (Rires)
Et pour le moment ce March Comes in Like a Lion, quels sont les chiffres de ventes ?
Alors ce n’est pas un succès ni même un middle seller évidemment : 24 000 exemplaires vendus à date.
Néanmoins il a bénéficié d’un accueil extraordinaire de la presse et de toute la communauté manga. Je n’avais jamais vu autant de “Youpi, Waouh, ENFIN !” lorsqu’il est sorti, et nous nous sommes éclatés à le promouvoir avec des fiches, des ateliers cuisines, des PLV. On a même convaincu les ayant-droits japonais de changer de couverture. Elles nous semblaient trop shôjo / kawaii et nous voulions en faire quelque chose de différent.
Nous avons vraiment pris du plaisir à toutes les étapes de lancement de ce bouquin.
Le premier bilan c’est que nous allons continuer de travailler avec Elsa Brants ! (Rires)
Au départ il s’agit d’un coup de coeur. Nous recevons depuis toujours des projets de bande-dessinée de la part de gens qui lisent du manga (et pas forcément de la BD) depuis des années et qui n’imaginent la création que sous cette forme. Mais peu en maîtrise la grammaire. Tu as beau en lire des centaines, ça ne veut pas dire que tu sauras les écrire.
Donc ce que nous faisons est plus un mix qu’un pur manga. Nous appelons ça du manga parce que c’est en poche, noir et blanc et que ça fait 200 pages mais si je fais lire ça au Japon ils sont morts de rire quand je leur présente cela comme du manga. Pour nous c’est donc un coup de cœur, nous étions pliés de rire à la lecture et commercialement nous nous en sommes bien sortis puisque nous sommes revenus sur nos investissements. C’est une série rentable même si nous n’avons pas dépassé les 8 000 exemplaires pour le tome 1.
En plus le fait d’avoir une auteure française sous la main ça permet aussi de faire vivre une série. L’auteur est disponible, partant pour toute la promo qu’on lui présente et en plus, Elsa a fait la France en long, en large et en travers…
Ah tout à fait, parce qu’elle adore ça ! (Rires)
Elle était à tous les festivals possibles et imaginables avec à chaque fois des files de fans interminables. Ce qui est drôle justement c’est que les lecteurs de ce manga-là ne sont pas du tout nos lecteurs habituels : tu retrouves des familles, des enfants lecteurs de BD, qui n’ont jamais lu de manga avant. C’est donc une super expérience, une sorte de laboratoire.
Je me suis d’ailleurs amusé avec Save Me Pythie, qui est sorti au Japon en digital, à l’emmener avec moi et à le présenter à chacun de mes contacts, à chaque fois que je m’y rendais. Et je recueillais les remarques. Le but n’était spécialement de vendre la série aux éditeurs japonais mais d’avoir un feedback des éditeurs japonais. Aujourd’hui, nous travaillons sur un nouveau projet avec elle et nous avons même un autre projet en prévision.
Il faut savoir que chez Kana, nous faisons de la création depuis longtemps. Nous avons publié des romans graphiques, des one-shot, des mini-séries comme La Vie Chinoise par exemple, des livres qui ne sont pas vraiment à proprement parler du manga non plus. Nous en faisons depuis longtemps et nous désirons garder ce rythme construit sur des opportunités et des coups de cœur, car il n’y a pas chez nous de line up à proprement parler en la matière. Nous sommes plutôt en mode “recherche et développement”.
Si on reste proche de la France, parlons de Jean-Paul Nishi, qui est arrivé dans votre catalogue après quelques années chez Picquier… Comment vous l’avez convaincu de venir chez vous d’ailleurs ?
Cela fait longtemps qu’on se côtoie et qu’on échange. Un jour j’ai lu Mon petit chez Shodensha et cela m’a parlé.
Et comment se déroule cette collaboration ? C’est un auteur qui est déjà venu plusieurs fois en France que les lecteurs commencent à bien connaître…
Oui en effet, sa femme est française, et il vient régulièrement en France. Nous l’avons d’ailleurs invité au Salon du Livre 2017 pour le lancement de son manga. Il était très excité de venir et c’est un très bon client en interview ou dédicace, il en fait souvent plus que ce qu’on lui demande.
C’est assez chouette de travailler avec lui, c’est un vrai pince-sans-rire, un vrai copier-coller de son personnage. Il est génial. Son manga parle du quotidien et du décalage des cultures entre la sienne et celle de sa femme. Et quand tu les vois tous les deux c’est à pleurer de rire. Ce ne sont pas pour autant des clowns, mais lui il ne cesse jamais de rire de tout et d’observer. Dès qu’il rencontre quelqu’un de différent il l’observe et dès qu’il peut il se met à le dessiner, à prendre des notes l’air de rien. Et ça tombe toujours juste en fait.
Pour en finir avec 2017, d’autres choses à retenir ?
Après, il y a certes beaucoup moins de compétition sur ce secteur, car nous sommes moins nombreux à faire du shôjo donc il est plus facile de sortir du lot.
J’ai particulièrement aimé Après la pluie …
Alors ce n’est pas un shôjo, mais un seinen. Nous avons eu beaucoup de critiques dithyrambiques sur ce titre et nous sommes très heureux de l’avoir publié…
…Et le recueil d’histoires courtes !
Oui c’est une collection qui nous a plus énormément, chaque tome ayant un auteur différent. Nous avons pu choisir parmi les nombreux recueils publiés au Japon et choisir les auteurs que nous publiions déjà. Une vraie opportunité pour mettre un auteur en avant et découvrir ses ouvrages plus anciens.
Est-ce que ces titres, Après la pluie ou ceux de SAKISAKA, marchent bien ? Enfin, d’ailleurs, bien se vendre pour un shôjo c’est quoi ?
10 000 exemplaires au titre est déjà une bonne vente en shôjo. Chez nous, c’est le cas des titres de Io SAKISAKA, par exemple.
Partie 2 : de la licence à l’impression
Autre point, si on s’oriente plus sur le choix des licences. On se dit que tout ce qui sort du Shônen JUMP semble être hyper convoité par les éditeurs français…
Oui. Alors pas tout, mais une bonne quantité.
Tu es l’une des premières à avoir évoqué cette concurrence assez vive et, justement, il y a quelques magazines comme le JUMP qui sont observés très attentivement par les éditeurs français. Donc où est-ce que, toi, tu pioches tes licences ?
La compétition est tellement forte que si tu ne te concentres que sur quelques magazines, tu as peu de chance de décrocher des nouvelles licences. Bien sûr, tout le monde se penche sur le Shônen JUMP parce que nous avons tous fait le même constat : c’est quand même une machine de guerre. Il y a aussi d’autres magazines de qualité dont certains collent vraiment bien au marché français : le Shônen Magazine, le SQ Jump, le Morning, le Jump +, etc.
Erotic F Ohta Publishing
En ce qui nous concerne nous continuons à nous ouvrir à beaucoup, beaucoup d’éditeurs et même des petits. À une époque il y avait le Erotics F chez Ohta Publishing qui était un tout petit éditeur mais un magazine où nous avons trouvé beaucoup de titres comme de nombreux ASANO ainsi qu’un magazine Shogakukan, le Ikki.
Donc en effet on ne peut pas se contenter d’un ou deux magazines, d’autant que l’on trouve d’excellents titres ailleurs. Beaucoup de nouveaux magazines numériques ont été lancés, uniquement dans ce format et sans doublon papier, où l’on trouve là aussi de très bons titres, comme Tenjin ou Sky High Survival, par exemple.
Tu as une idée du nombre de magazines de prépublication uniquement en numérique au Japon ?
Oh c’est difficile à dire car il y a les magazines qui sont la version numérique d’un magazine papier également. Mais, à la louche, je dirais une bonne trentaine, ce qui est tout de même une source énorme de titres.
Ah oui donc ils ont vraiment pris le virage du numérique au Japon, contrairement à nous…
Ah oui, complètement. En 2016 les ventes en numérique, que ce soit manga ou magazine, ont sauvé le marché du livre japonais et ont fait qu’il est aujourd’hui stable voire en croissance, Le numérique a pris le pas… Ce qui n’est pas du tout le cas chez nous.
Est-ce du fait qu’ils soient numériques, les mangas de ces magazines sont construits différemment ou garde-t-on le même schéma et la même grammaire dans ces histoires 100% numériques ?
Pas vraiment, non. Ils sont plutôt homothétiques à ce qui existe en papier. On n’est pas du tout dans l’expérimentation comme elle existe dans le webtoon, en Corée par exemple, où là, on crée une nouvelle grammaire, une nouvelle narration née du format (en scrolling vertical).
Il ne reste plus qu’à faire la même chose chez nous… Mais avec le numérique et l’internationalisation de la culture japonaise, est-ce que les éditeurs japonais pourraient à nouveau avoir l’idée de faire ça eux-mêmes ?
De ce côté-là je pense que les Japonais ont compris comment ça fonctionne grâce aux tests qu’ils effectuent depuis 2010. Ils ont réalisé plein d’expériences en tous genres : en direct, pas en direct, via des plateformes, à côté de chez eux en Asie du sud-est, aux Etats-Unis. Chacun a fait des tests identiques ou complémentaires.
Le résultat est qu’il est important d’avoir un éditeur local. Les marchés ne se sont pas internationalisés à ce point là : ce qui marche à un endroit ne marche pas à un autre et la manière de mettre en avant un titre dans un pays n’est pas la même que chez son voisin. Publier en numérique en direct ça peut à la limite fonctionner en France, car le marché est déjà installé et que la promotion du manga a déjà été faite. Et encore, il reste tout le travail éditorial, d’adaptation et de traduction qui, quand il est fait depuis le Japon, n’est pas toujours très réussi. Ce qui n’empêche que des expériences sont en cours avec Kadokawa par exemple qui a une plateforme du nom de Comic Walker sur laquelle tu trouves de plus en plus de titres en langues étrangères. Et le nombre de langues augmentent chaque année. Après est-ce que ça va être un succès quand ils vont proposer leurs titres en français ? Est-ce que tout le monde va s’y mettre ? Je n’en suis pas sûre.
Site web Comic Walker
D’autant qu’il y a toujours un problème qui ne peut pas se régler sans les ayants-droits : c’est l’existence des sites pirates et les traductions pirates qui sont très très présents et qui publient, dans une qualité tout à fait moyenne et discutable, toutes sortes de titres, bien avant le Japon. Donc si nous devions faire de l’édition simultanée numérique, tant que nous sortirons les titres quatre jours après les pirates c’est à dire en même temps que le Japon, nos chances de succès sont ténues. Par ailleurs, le pirate est gratuit alors que nous, nous voulons payer les droits aux auteurs donc forcément notre solution sera payante. Payante ET quatre jours en retard, ça me semble compliqué quoiqu’il arrive, et cela quelque soit nos arguments : on reverse de l’argent à l’auteur et aux ayants-droits, l’auteur a validé la qualité du titre, la solution pirate est illégale… Tout ça ce n’est que du blabla, ça ne pèse pas lourd au final.
Après je comprends aussi la réponse des Japonais qui refusent de changer leur système. Même si on leur assure que la version française ne sera pas lue par les Japonais ils ne veulent pas prendre le risque de nous laisser sortir les titres avant la publication du magazine au Japon. Tant qu’ils sortiront des magazines papiers il y a donc peu de chance que ça change.
On aura peut-être plus de chance de faire du simultané en partant des magazines uniquement numériques. Mais comme les droits se cèdent, magazine par magazine, il en faudra en trouver un qui contient beaucoup de licences intéressantes pour notre marché.
Nous avons tout essayé je crois. Si tu regardes le planning de nos sorties ces dernières années tu verras que nous avons testé de nombreuses possibilités.
D’abord lorsque nous lançons un titre, nous suivons le rythme de la série. Quand ça ne marche pas nous avions tendance à espacer un peu les sorties pour des raisons financières, mais en même temps ce n’était pas très sympa pour les fidèles. Donc nous avons ensuite tenté d’accélérer la cadence pour rattraper le Japon, comme ce fut le cas sur pour la série Gintama par exemple, pour laquelle nous avons sorti un volume tous les deux mois pendant un an ou deux. Mais là nous nous sommes rendus compte que nous perdions des lecteurs !
Ah c’est surprenant ça ! Plus qu’en ralentissant la publication ?
Oui, donc nous sommes revenus à une cadence d’une publication tous les trois mois ou quatre, en allant jusqu’au bout puisque c’est notre politique chez Kana.
Il y a aussi la solution du tome double ?
C’est un système que nous n’utilisons pas, ou plus. Nous l’avons en effet testé à travers France Loisirs à l’époque, avec Kyo et Yu-Gi-Oh !. Nous avions publié toute la série et même refait les couvertures et corrigé les éventuelles coquilles pour Kyo et encore plus pour Yu-Gi-Oh ! car l’auteur avait effectué des modifications après coup et il nous fallait faire des modifications quasiment à toutes les pages. Le travail avait été fait, donc, mais pour autant, nous n’avons pas eu beaucoup de succès avec cette édition.
Pour quelles raisons selon toi ?
Globalement parce que ça s’adresse à un public qui n’est pas vraiment lecteur de manga. C’est compliqué si tu as des déjà des tomes chez toi dans un type d’édition et que tu veux compléter, mais que tu n’as plus accès qu’à ces éditions doubles, ce n’est pas très tentant et pas très esthétique dans ta bibliothèque. Exception faite des éditions deluxe. Là, je suis partante car ça a été généralement retravaillé avec soin par l’auteur dans le pays d’origine et tu as de nombreux boni dans cette nouvelle édition : chapitres inédits, nouvelles couvertures, de nouveaux dessins, etc. Bref, le rendu est assez classe.
Dans ces cas-là c’est rarement deux tomes en un, on a davantage du 1 tome ¼ ou un tome ½. Ils repensent la narration. Il y a un intérêt car tu sens que l’auteur a participé, alors que de simplement coller deux tomes en un ça reste très artificiel. C’est juste un travail mécanique et froid de l’éditeur local, il n’y a pas de travail éditorial si ce n’est de corriger quelques coquilles ou erreurs de traduction.
Puisque l’on parle de format d’édition je fais la transition avec l’impression : est-ce que vous imprimez toujours au même endroit et où imprimez-vous chez Kana ?
Nous travaillons avec deux ou trois imprimeurs. Nous avons une production assez importante donc il nous semble important d’avoir plusieurs imprimeurs car comme tu le sais c’est un métier qui va plutôt mal et il arrive que certains ferment leurs portes. C’est donc très important de ne pas avoir qu’un seul imprimeur.
Nous imprimons en Europe : France, Italie, Roumanie et en Espagne.
Puisque l’on parle d’impression, il y a aussi la problématique des réimpressions. En 2013 Kim Bedenne, alors Directrice éditoriale de chez Pika, me disait que l’impression de petites quantités était trop onéreuse, est-ce que c’est toujours le cas ?
Aujourd’hui le prix du stockage est tel que nous avons du trouver des solutions pour imprimer en petite quantité. Car, désormais, stocker des livres plus d’une année devient impayable. Donc nous réimprimons plus souvent qu’avant pour stocker moins. Généralement c’est le nombre d’exemplaires pour la mise en place de la série + le stock pour un an. Comme plusieurs de nos séries tournent bien nous devons réimprimer régulièrement et nous avons convaincu certains imprimeurs de diminuer fortement leur tirage de base… mais pas encore au point de passer à l’impression numérique, car nous voulons rester qualitatif.
Éclaircissement pour les lecteurs : pas de numérique ça veut dire que vous restez sur de l’impression offset ? Certains imprimeurs disent que la différence de qualité entre les deux est de moins en moins visible, tu peux nous donner ton point de vue d’éditeur là dessus ?
En effet, avec les années, cette technique s’est nettement améliorée. Mais tu restes malgré tout restreint dans ton choix de papier ou de format, par exemple.
Pour finir quelles sont vos priorités 2018 chez Kana ?
Il y a tout d’abord les lancements de nos nouveautés. Nous avons réussi à décrocher de supers licences que nous avons hâte de publier. Nous devons également soutenir nos séries best-seller en cours et avec Assassination Classroom, Boruto, Fire Force, Black Butler et tous les autres ce n’est pas ce qui manque chez Kana ! (Rires)
Quand est-ce qu’arrivent vos plus grosses nouveautés ?
Bien sûr, il ne faut pas s’auto-phagocyter, un lancement ne doit pas empiéter pas sur un autre. Donc comme il y a 5 cycles commerciaux dans l’année, nous aurons un lancement à chaque cycle, et donc cinq grosses nouveautés cette année.
On suivra ça de près alors. Merci Christel Hoolans et bonne année 2018 à Kana !
Vous pouvez retrouvez l’actualité du catalogue Kana sur le site de l’éditeur et le suivre sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter et Instagram. Vous pouvez aussi suivre directement Christel Hoolans via son compte Twitter.
Pour mieux comprendre le marché du manga en France, retrouvez toutes les interviews éditeurs manga de Paoru.fr ici !
Remerciements à Christel Hoolans pour son temps, ses réponses et son éternelle bonne humeur ! Remerciements à Stéphanie Nunez des éditions Kana également pour la mise en place de l’interview.