Le 21 janvier 2018, alors que la Fondation Clément et la Fondation Dapper ouvraient en Martinique l’exposition Afriques, artistes d’hier et d’aujourd’hui, le Quai Branly clôturait l’exposition Les forêts natales. Forêts natales était une sorte d’expérience immersive : 300 pièces entouraient le public de partout, surtout des masques et des gardiens de reliquaire, dont une grande quantité de figures de reliquaire kota, avec empiècement en métal doré (cuivre, laiton…) disposées dans une immense vitrine (plus de 100 pièces pour quelques 40 mètres de vitrine).
1. Figure de reliquaire Kota, exposition Les forêts natales, Musée jacques Chirac, Quai Branly, 2017. photo MDS
La disposition des pièces permettait d’avoir une lecture type histoire de l’art en suivant les variations formelles par style, et par aire culturelle. Des textes permettaient de comprendre la fonction plus intime ou familiale des reliquaires impliqués dans le culte des ancêtres ou plus sociale e publique des masques impliqués dans les célébrations de communautés plus larges. Mais aussi l’importance de la relation des populations avec ces objets dans le maintien de l’ordre social via l’intervention des ancêtres, des esprits ou d’autres entités vénérées.
2 panier reliquaire KOta, Les forêts natales, quai Branly, 2017. photo MDS
La Fondation Dapper qui expose actuellement 100 pièces à la Fondation Clément avait déjà prêté une cinquantaine au Quai Branly. Le grand nombre de gardiens de reliquaire exposés pose la question du passage de ces objets sacrés, du secret des cases ou des places consacrées d’un village, aux collections d’un Musée. On peut imaginer que la disparition de ces objets a eu un impact sur les populations qui les avaient créés. Vu le rôle qu’ils avaient, qu’ils aient été vendus ou donnés légalement ou illégalement, ou bien encore volés, ou même sauvés de la destruction suite à l’évangélisation des territoires, leur perte ne pouvait être qu’un drame pour ceux qui les ont perdus. Quelques gardiens de reliquaire possèdent encore le panier contenant les reliques qu’ils étaient censés garder. Une pièce de ce type, exposée au quai Branly , exceptionnellement complète , a été scannée, révélant ainsi le contenu du panier : ossements, sang, objets en métal, dents et traces de diverses autres substances.
3. Fang, GabonCameroun , Figure de reliquaire, eyema byeri, Fondation Dapper
Dans des cultures où le lien avec les ancêtres avait une si grande importance, comment vivre sans pouvoir les contacter ? Les reliques à l’intérieur des paniers sont surement comparables aux reliques des saints chrétiens et on sait la valeur que de telles reliques pouvaient avoir en Europe au moyen âge, mais les reliquaires africains semblent à la fois plus intimes (liés directement au groupe par la parenté) et plus puissants. Les reliques il est vrai, n’étaient pas le seul moyen d’accéder aux ancêtres. L’exposition à la Fondation Clément contient une harpe, exemple du rôle de la musique et un petit film sur une pratique d’initiation, le « bwiti » centrée sur la prise d’un breuvage, censé permettre le contact avec les ancêtres. Mais il y a eu cassure. Comme il y a eu syncrétisme et le film du rituel du bwiti le montre dans l’usage de petites cloches dans le rituel et peut être aussi dans le recours à une phase de confession préalable. On peut se demander si ce besoin de confession – une confession mal faite ou incomplète peut avoir des résultats dramatiques – ne serait pas d’origine chrétienne. La séparation d’avec les ancêtres est aussi la cassure de la traite. Déportés de force et sans la possibilité d’amener avec eux des objets, ceux qui deviendraient des esclaves perdaient contact avec leurs ancêtres. Ils ont amené au nouveau monde des connaissances, des rythmes, des histoires, des chansons, des techniques, des croyances (au Brésil, A Cuba et en Haiti on sait que les Orishas ont fait la traversée) mais pas la possibilité d’entrer en contact directement avec les ancêtres…. Une figure vénérée dans les religions afro-brésiliennes remplace justement l’ancêtre africain. C’est l’ « ancien », le « vieux-nègre », généralement un esclave mort, réceptacle de la sagesse et des connaissances des plantes et des esprits.
4. Kota – Mahongwe, Gabon,Figure de reliquaire, Fondation Dapper
On parle beaucoup de la restitution de certaines pièces d’art ancien à des pays africains, notamment le Benin, qui revendique les trésors du Dahomay. La question est épineuse, les contours des pays qui existent maintenant ne recoupant pas forcément les territoires où vivaient ceux qui ont créé certaines pièces, du fait du découpage des territoires par la colonisation, du fait des déplacements de populations également. L’annonce de Macron reconnait le pillage colonial, tout en posant des problèmes juridiques complexes. Mais complexe ne veut pas dire insurmontable. Et le simple fait que ces pièces soient revendiquées doit être pris en compte. Il sera peut être facile de trancher sur certaines pièces très spécifiques (trône et les portes du palais du roi Béhanzin par exemple) pour les autres quel casse-tête… achetées, reçues en cadeau, volées, par qui, de qui, dans quel contexte…La circulation des biens culturels, quelle qu’en soit la raison fait partie de toutes les histoires humaines, elle participe de la construction de l’humanité. C’est bien pourquoi face aux demandes actuelles de restitution, on ne peut pas se retrancher derrière des principes nationaux d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité mais au contraire, on doit travailler à la définition des « conditions d’un nouveau partage ou d’une nouvelle circulation des patrimoines »[i].
5.Ibeji, Afriques, artistes d’hier et d’aujourd’hui, Fondation Clément, 2018
.Je n’ai malheureusement pas gardé la référence mais j’ai lu sur le net une propositon iconoclaste qui m’a beaucoup plu : au lieu de rendre des œuvres d’art africaines dont l’Afrique rengorge (mais cela n’est pas si vrai, on dit que 90% des œuvres d’art africaines anciennes ne sont pas en Afrique et de plus je pense quand même que certaines pièces exceptionnelles doivent absolument être rendues) pourquoi ne pas remettre aux musées africains des chefs d’œuvre de l’art occidental, qui y font défaut ? L’idée m’enchante. Voilà ce à quoi un nouveau modèle de circulation du patrimoine pourrait ressembler. .
6.trone du roi Ghezo, Dahomay,collection Quai Branly