Página/12 a adopté la couleur verte,
symbole de la campagne pour la dépénalisation de l'IVG
En Argentine, l'avortement est interdit. Il relève de la justice pénale tant pour la femme enceinte que pour l'avorteur, qu'il soit médecin ou non. Dans certains cas, très peu nombreux, le viol, l'inceste, la minorité d'âge de la future mère, surtout s'il y a eu violence, la femme peut -et c'est en soi une épreuve épouvantable- demander à la justice le droit de mettre fin à sa grossesse. La jurisprudence est très variable sur le sujet. On a vu, il y a quelques années, un juge refuser le droit à l'IVG à une gamine de 11 ans violée par son beau-père et enceinte de ses œuvres, sous prétexte que la famille pouvait prendre en charge le nouveau-né. Il y a 43 femmes, le plus souvent des adolescentes, tous les ans qui meurent d'avortement clandestin. Il y a aussi beaucoup de patientes qui se présentent dans certains hôpitaux avec des symptômes suspects et pas mal de médecins qui ferment les yeux.
La Nación joue la sobriété avec un gros titre non illustré
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Depuis quelques semaines, le monde politique tourne autour de l'idée de légiférer sur ce sujet qui divise profondément la société entre droite et gauche et, plus subtilement encore, entre différentes sensibilités politico-sociales dans le monde catholique, qui reste majoritaire dans le pays, qui est aussi celui du Pape François, qui se refuse à y faire une visite pastorale au point qu'il vient de survoler le pays pour aller au Chili en envoyant un télégramme en anglais à Mauricio Macri. Il était question d'inclure l'IVG dans une réforme plus large du Code Pénal.
Après bien des hésitations, le gouvernement a décidé de poser sur le bureau du Congrès un projet de loi indépendant et donc de lancer le débat politique, à l'intérieur de l'hémicycle, dans la rue et dans les média, plutôt que de la traiter en catimini, par la voie des ordonnances (DNU), comme la rumeur s'en était répandue. La dépénalisation irait jusqu'à la 14ème semaine de grossesse.
Les deux voisins de l'Argentine, l'Uruguay et le Chili (celui-ci en l'entourant de très nombreuses conditions), ont déjà voté une dépénalisation totale ou partielle de l'avortement, malgré l'opposition de l'épiscopat.
Clarín a préféré mettre en une la position de la CEA
Et la photo illustre la multiplication des toilettes publiques communes hommes-femmes
dans la ville de Buenos Aires
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Le bureau de la Conférence Episcopale Argentine (CEA) vient de prendre position en demandant que le débat soit sincère et ouvert, qu'il permette à toutes les voix de se faire entendre, à tous les arguments d'être examinés. Elle fait donc preuve d'une grande prudence, elle qui réclame depuis des années une réconciliation dans le pays, un rapprochement des différentes parties qui s'y opposent depuis l'indépendance. Seul l'archevêque de La Plata, Monseigneur Héctor Aguer, toujours aussi rentre-dedans, a pris des positions fortes, dans lesquelles il en appelle beaucoup à des faits scientifiques qu'il ne précise pas plus que cela et où il met le gouvernement en accusation, en lui attribuant un manque de principes éthiques. Héctor Aguer est un habitué de ces prises de positions polémiques et outrancières. Il vient d'atteindre l'âge de la retraite épiscopale et devrait se voir bientôt remplacé à La Plata (1). On attend la décision du pape à ce sujet.
La Pensa a fait le même choix éditorial et politique : celui de prendre parti contre.
Depuis plusieurs semaines, le site Internet du journal présente une une floue.
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Si la dépénalisation est votée, ce sera considéré comme la première réforme progressiste de Mauricio Macri et la gauche sera obligée de le reconnaître. Ce serait aussi la troisième grande réforme des mœurs (plutôt que sociétale) depuis le retour à la démocratie, après la loi sur le divorce sous le mandat de Raúl Alfonsín (le divorce était jusqu'alors impossible en Argentine, il a fait bien du chemin depuis, et Mauricio Macri n'est pas le dernier à en avoir bénéficié) et le mariage égalitaire (entendez ouvert aux couples de même sexe) sous Cristina Kirchner. Il n'est pas sûr à ce jour qu'il y ait une majorité dans le pays ni au Congrès pour voter une telle mesure. Il n'est pas écarté que l'annonce serait une diversion pour faire oublier les problèmes sociaux, l'échec de la politique économique qui devait mettre fin à l'inflation et qui l'a fait croître et les scandales de corruption qui entachent plusieurs ministres.
Pour en savoir plus : lire l'article principal de Página/12, ouvertement favorable à la mesure lire l'article de Página/12 sur la position de la CEA (et c'est Washington Uranga qui s'y colle, un journaliste en général très hostile à la doctrine morale de l'Eglise, dont il ne comprend ni la logique ni la cohérence, ni l'histoire) lire l'article de La Prensa lire l'article de La Nación sur la mesure et la situation au Congrès lire l'article de La Nación sur la situation dans le gouvernement où la majorité des ministres est hostile à la dépénalisation (la plupart d'entre eux, président compris, ont fait leurs études dans le privé confessionnel et ont obtenu leurs diplômes à la UCA, l'université catholique d'Argentine) lire l'article de La Nación sur la déclaration du Bureau de la CEA lire l'article de Clarín sur la prise de position de Mgr Aguer, en vidéo intégrée (13 mn).
(1) Ceci dit, ses déclarations ne sont pas dénuées de fondement théologique et anthropologique, lorsqu'il dit que l'homme n'a pas le droit de faire n'importe quoi avec son corps, ce qui est une constante de la théologie morale catholique depuis la naissance de cette religion au 1er siècle.