On ne pourra jamais refaire le miracle d'un instant - Réflexion 1 - Street Photography

Publié le 16 février 2018 par Paulo Lobo
Si vous saviez toutes les acrobaties que je fais pour éviter de blesser quelqu'un avec mon appareil photo !
De nos jours, et plus particulièrement dans un petit pays-village comme le Luxembourg, il y a un certain risque à photographier des inconnus dans la rue. S'ils le remarquent, soit ils adoptent une expression ahurie, soit ils vous jettent carrément un regard assassin. Soit encore ils vous demandent de ne pas les prendre en photo.
Une chose est certaine, c'est difficile de se fondre dans la foule dans des lieux qui ne sont pas traversés par la foule, enfin pas par une vraie grande foule, je veux dire. A Luxembourg-Ville, même dans des quartiers comme celui de la gare ou le centre-ville, le tempo n'est en rien comparable à celui des grandes métropoles. Ici, les gens sont certes pressés, comme partout ailleurs dans le monde, surtout au petit matin et en fin d'après-midi, ils circulent vite, ils font la course, ils se ruent dans les transports publics, mais ils ne font jamais vraiment abstraction de leur environnement, ils ont ce réflexe de directement remarquer quelqu'un qui ne suit pas leur flux, qui se place en contre-mouvement pour les contempler.
Ici, tout observateur est observé.
Si en plus, vous observez l'oeil rivé à un viseur de caméra, vous bousculez encore plus la petite routine du quotidien.
Nous vivons dans une ville qui en journée est investie par "à peine" 200.000 personnes, loin des coeurs palpitants tels que Paris, New York, Rome, Berlin...
Par conséquent, les scènes urbaines sont naturellement plus réduites, et il se passe relativement moins de choses et d'interactions dans les rues.
Cela dit : c'est peut-être aussi une question d'état d'esprit. Le fait que cette ville soit ma ville, que je ne m'y sente pas vraiment étranger, que je ne me donne que très rarement le temps de ralentir moi-même mon pas, que j'ai l'impression à tout moment de pouvoir être reconnu par quelqu'un, tout cela génère en moi un sentiment de malaise, un embarras...
Mes images reflètent, je pense, cette incertitude, cette timidité du regard.
Je voudrais être beaucoup plus proche des êtres, capter avec plus de force leur expressivité, leur beauté, tristesse, joie, colère, frustration... Je voudrais être plus en clash ou en syntonie avec les vibrations humaines qui émanent de la chaussée. J'admire énormément de photographes contemporains qui parviennent à capter ces fragments d'existences.
Mais il se trouve que je me maintiens à distance,
je marche, je regarde, je photographie
à distance.
Je prends les gens comme des silhouettes fuyantes ou des figurants servant à meubler l'espace urbain. Servant de marqueurs d'échelle ou de contrepoint à des architectures, des ambiances.
Et quand il m'arrive de communiquer avec quelqu'un, et que ce quelqu'un est d'accord pour la photo, je plonge tout de suite dans une autre vision, c'est le portrait posé, la captation d'un sujet qui vous permet de le photographier mais qui est fortement vidé de toute substance, limite anesthésié.
Quand je me balade dans la rue, je ne suis jamais sûr de moi, je suis un grand hésitant, je ne sais même pas ce que je cherche, je marche et je vais et je viens, je me pose des questions, je me dis qu'il ne se passe rien, la lumière est comme ceci ou comme cela, je cherche, parfois je rate de très bonnes occasions, des petites choses qui surviennent sous mon nez, magnifiquement belles,
mais je n'ai pas eu la bonne intuition, le bon réflexe. Une demi-seconde d'hésitation, un regret, passons. On ne pourra jamais refaire le miracle d'un instant.