Du bonheur, il y en a autant dans Happy End que de moments comiques dans Funny Games. Commentaire social viscéral, ponctué d’une satire qui entache la petite bourgeoisie, le dernier film de Michael Haneke en fait le traitement somme de ses précédents. Glaçant, rigide et impitoyable, le réalisateur autrichien brasse ses thèmes et ses idéologies avec une retenue visuelle inédite. Situé à Calais, au cœur d’une famille de bourgeois, Happy End a pour toile de fond la crise des migrants parsemé d’un humour noir qui vient souligner le contexte social.
Perturbé par l’arrivée de la jeune fille de Thomas (Mathieu Kassovitz), le clan de la famille Laurent va voir chacun de ses secrets volé en éclats. Dépression, pulsions psychotiques, adultère, tentative de suicide, tout y passe. Ajoutez à ça un passé trouble, une entreprise en branle et un grand-père qui veut en finir avec la vie, vous obtenez le packaging entier de la névrose familiale qui fait tout pour ignorer le climat social ambiant. Michael Haneke nous plonge droit dans les abîmes de la psychose et du déséquilibre. Bien sûr, pas de dépaysement pour quiconque aurait vu le reste de la filmographie du réalisateur. Les thèmes, le traitement narratif par fragments ou même l’utilisation de vidéos d’un format numérique renvoient à bon nombres d’autres films d’Haneke comme Caché, Amour ou encore La Pianiste. L’humour noir évoqué plus haut donne à Happy End un ton particulier de comédie légère qui ne serait qu’une représentation infime du ridicule humain face à la tragédie qui règne partout ailleurs. Pourtant les sentiments sont cliniques, comme un froid ambiant.
A travers ses émotions, Happy End interroge le spectateur. Par la caméra, une distance s’impose comme pour nous protéger des stigmates des protagonistes. La tension est palpable à chaque instant, inquiétante aussi dans le comportement et le jeu de certains acteurs. L’égalité d’humeur représentée chez Mathieu Kassovitz, l’agacement et l’agitation constante d’Isabelle Huppert, ou la tristesse infinie de Jean-Louis Trintignant, tout cela souligne un malaise bien plus profond. Nous sommes donc placés comme témoins des peines de cette cellule familiale. Néanmoins, notre regard est souvent troublé ou fauté. De fait que le récit se dessine par bribes et fragments, nous sommes souvent laissés au seuil d’un plus grand schéma. A travers l’écran d’un smartphone ou d’un ordinateur, Michael Haneke nous invite dans les tréfonds de la pensée humaine. Discours 2.0 qui nous permet de relier les pièces manquantes, et ainsi saisir la place colossale et effrayante que la mort occupe dans l’esprit des personnages. La densité du propos tenu dans la narration d’Happy End offre parfois un trop plein de sensations étranges. Pourtant Michael Haneke prend un malin plaisir à relier tous les points et réfléchit pleinement à la manière dont chacun agit dans le monde.
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