Ariane de Myriam Leroy 3,75/5 (03-01-2018)
Ariane (208 pages) est sorti le 4 janvier 2018 aux Editions Don Quichotte.
L’histoire (éditeur) :
« Quand j’ai eu douze ans, mes parents m’ont inscrite dans une école de riches. J’y suis restée deux années. C’est là que j’ai rencontré Ariane. Il ne me reste rien d’elle, ou presque. Trois lettres froissées, aucune image. Aucun résultat ne s’affiche lorsqu’on tape son nom sur Google. Ariane a vécu vingt ans et elle n’apparaît nulle part. Quand j’ai voulu en parler, l’autre jour, rien ne m’est venu. J’avais souhaité sa mort et je l’avais accueillie avec soulagement. Elle ne m’avait pas bouleversée, pas torturée, elle ne revient pas me hanter. C’est fini. C’est tout. » Elles sont collégiennes et s’aiment d’amour dur. L’une vient d’un milieu modeste et collectionne les complexes. L’autre est d’une beauté vénéneuse et mène une existence légère entre sa piscine et son terrain de tennis. L’autre, c’est Ariane, jeune fille incandescente avec qui la narratrice noue une relation furieuse, exclusive, nourrie par les sévices qu’elles infligent aux autres. Mais leur histoire est toxique et porte en elle un poison à effet lent, mais sûr. Premier roman sur une amitié féroce, faite de codes secrets et de signes de reconnaissance, à la vie à la mort.
Mon avis :
Issue d’une famille terne (ou surtout rien ne doit dépasser, être exhibé), bien rangée de catholiques belges modeste qui prône l’économie
« Seulement moi, j’étais tristement banale. Enfant délavée, sans la plus minuscule catastrophe à valoriser. » Page 13
« Ma sœur et moi ne manquions de rien, sauf du superflu. Tout ce qui était de l’ordre du plaisir était considéré par mes parents avec un dédain teinté d’écœurement (…) » Page 14
Vivant à Nivelles, dans la province sud de Bruxelles (en rien comparable avec Lasnes la petite bourgade de riches à 20 km de chez eux),
« C’était pour moi une prison à ciel ouvert, érotiquement morte, présentant un paysage qui sous-stimulait l’imagination, face auquel on ne pouvait que rêver petit. » Page 20-23
La narratrice a bien du mal à trouver sa place aussi bien entre ce père expert-comptable et cette mère au foyer fades que dans cet établissement chic (scolarité imposé par sa mère qui cherche la perfection et surtout pas les mauvaises fréquentations).
« Première impression : c’était une école de blonds. Une école de la pureté, sans acné, sans moustache – ni pour les garçons ni pour les filles. » Page 27-28
Elle ne trompe personne à l’école où elle est d’emblée catalogué « plouc » à cause de sa pâleur, son teint et ses grosses lunettes et ses tics nerveux qu’elle n’arrive pas à contenir et son look
« Blafarde, binoclarde et pleine de spasme donc, mais aussi invraisemblablement habillée. (…)
Entre le clown de cirque et la jeune paysanne communiste. (…)
Enfin, on remarquait immédiatement que j’étais « l’intello de la classe ».
En réalité, je ne l’étais que par intermittence, quand Ariane Cuvelier me laissai la place. » Page 30-31
Et pourtant, Ariane la belle indienne aux longs cheveux noirs, adopté à 3 mois par Claude et Patricia Cuvelier, lui glisse un jour une invitation à venir chez elle dans cette autre monde où l’argent et la nudité ne sont pas un problème et où les rapport avec les parents (et en particulier le père et le frère) si différents de chez elle… désormais, elles vont former plus qu’un duo, un assemblage incongru (elle si pleine de complexe et l’autre sans pudeur) mais plus fort que le reste de l’univers.
Cet été 95, le papillon va sortir de sa chrysalide, on se retourne enfin sur son passage et tant mieux si on la traite de pute. A 13 ans, on la remarque enfin et elle est heureuse d’être visible.
Mais leur assurance va trop vite leur donner des ailes et les entrainer sur le chemin de la méchanceté et des excès… Jalousie, amour et haine vont s’entremêler dans cette relation (exclusive, avec ses propres règles) trop forte, amère et passionnée où l’attraction et les répulsions sont sans cesse poussées à leurs limites.
Ariane est l’histoire d’une amitié violente qui ne peut que mal finir. La narratrice, dont on ne connaîtra jamais le nom (comme un témoin qui préfère rester anonyme), revient sur ces années d’adolescence en crise où Ariane est apparue comme salvatrice dans son mal être et son besoin de reconnaissance, mais a très vite finit par devenu un poison.
Myriam Leroy dépeint sans surprise une relation vénéneuse d’adolescentes fragiles (l’une issu d’un milieu modeste et mal dans sa peau et l’autre riche, flamboyante mais névrosée). Elle chemine doucement le lecteur dans une amitié passionnée et destructrice où chacune des deux jeunes filles possède sa part de responsabilité, de cruauté et de faiblesses, en quête d’amour et d’approbation. Et pourtant, la tension s’installe très vite. Elle met mal à l’aise autant par les faits (qui semblent extrait d’un fait divers) que par les mots bruts, crus, le style orale et la force des phrases riches de critiques sociales et sans aucuns stéréotypes sexistes.
Ariane est un roman fort, un peu choquant, très bien inscrit dans sa génération (celle des années 90, dont je me suis parfaitement reconnue), humains, vibrant et fracassant. Il laisse une étrange sensation…
J’ai particulièrement aimé le style de Myriam Leroy qui frappe fort, qui émeut (par le mal être de ses personnages), qui glace (par tant d’excès), qui fait réfléchir sur les rencontres et leurs influences, qui fait peur (par tant l’abnégation) et qui laisse parfais aussi le doute s’installer dans la part de responsabilité des uns et des autres jusqu’à nous faire perdre nos repères.
« Et il faut aussi se rappeler que l’été 1996, celui qui fut le tombeau de mon amitié avec Ariane, était aussi celui d’une psychose collective : la Belgique découvrit Marc Dutroux & Friends, et vit des prédateurs partout.)
Dans ce récit, il faut des ellipses, comme au cinéma, montre qu’il avance en occultant de larges pans. Mais que laisse-t-on tomber ? Qu’est ce qui est utile ? » Page 126