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Seul à trois

Publié le 04 juillet 2008 par Vonsontag
Seul à trois Je lis des livres qui n'ont même pas paru.
En effet, mon métier - qui, outre la faiblesse de son salaire, compte de nombreux inconvénients - a quelques avantages dont celui non négligeable qu'il me permet de bénéficier de services de presse d'éditeurs. Les dits services de presse sont, dans le cas de la rentrée littéraire, envoyés aux libraires et autres journalistes avant leurs vacances, preuve s'il en manquait de la malignité des attachées de presse qui comptent sur la disponibilité du chroniqueur en congés pour faire passer l'indigeste prose qu'elles défendent généralement pour du Tolstoï. Nous ne sommes depuis longtemps plus dupes de telles manoeuvres mais, quand les éditions de Minuit ont la gentillesse de nous expédier le nouveau roman de Christian Oster, nous ne crachons pas dans la soupe mais léchons plutôt la main qui nous nourrit.
Il sera donc question en ces lignes de Trois hommes seuls de Christian Oster que nous connûmes et qui nous enchantât avec un Pont d'Arcueil de belle facture.
Disons, pour résumer sans présumer, que M. Oster a pour habitude de mettre en scène dans ses livres des personnages assurant à la fois la narration et le rôle principal. Ces personnages sont à ma connaissance tous masculins, âgés à peu près du même âge que Christian Oster - soit une fin de quarantaine séduisante, seulement marquée par quelques grains de sel aux tempes et des minuscules ridules que votre femme trouve moche chez vous et craquantes chez lui. Les dits personnages sont paradoxalement et simultanément affligés d'une tendance à la procrastination et d'une certaine impulsivité qui, pour improbable qu'elle soit dans la vraie vie qu'on vit tous les jours, se trouve fort bienvenue dans le cas d'un roman.
Donc notre dernier héros narrateur en date qui, on l'apprend au beau milieu du livre, s'appelle Serge, vit dans un très anonyme appartement parisien. Appartement essentiellement meublé de vide ainsi que de quelques objets dont, dans leur ordre d'apparition, un sac de voyage, un téléphone, des raquettes de tennis et une chaise sur laquelle il ne s'assied pas, sauf là, parce que justement il est au téléphone avec la propriétaire de la chaise, Marie, et qu'il a vraiment besoin de s'asseoir. Mais pas longtemps en fait, parce que Marie, qui est son ex, lui demande de la ramener, la chaise, chez elle en Corse et d'en profiter pour y venir passer quelques jours de vacances. Il peut même amener des amis.
Ce qu'il fait. C'est à dire qu'il va chez Marie en Corse ramener la chaise avec des amis sauf que ce ne sont pas des amis juste une connaissance elle-même accompagnée d'un ami que Serge ne connaît pas mais apprendra à connaître ou du moins à estimer.
Trois hommes seuls est donc le récit de ce voyage et de ce séjour qui vaudra à Serge bien des questions et bien des inquiétudes, quelques surprises plus ou moins heureuses, deux ou trois rencontres plus ou moins hasardeuses et qui nous vaut à nous un bien beau roman de 170 pages environ dans l'espace desquelles vont se résoudre deux années de solitude causées par la rupture mal digérée de Serge et Marie, se resserrer les liens lâches d'une camaraderie sportive et s'inventer un beau personnage de vieux funambule au ras du sol. Ce dernier personnage est peut-être - j'y pense à l'instant - l'alter-ego de l'auteur lui même, voltigeur au ras des pâquerettes qui transforme le plus banal ennui en moment lyrique et absurde avec une virtuosité moqueuse qui fait depuis quelques années la marque Minuit.
Au finir de ce livre, j'ai éprouvé le curieux sentiment que Oster avait peut-être ou sans doute lu Le promontoire, d'Henri Thomas. Rien de commun entre ces deux livres, ni dans le style, ni dans le thème mais ce drôle d'état de suspension inquiète dans lequel les deux écrivains laissent leur héros, et puis la Corse... Ou peut-être pas, en fait.
Ce sera certainement un succès d'estime de plus pour Oster. Ça ne devrait pas le rendre plus riche mais si ce livre pouvait vous le faire découvrir, lui et sa littérature, ça me ferai bien plaisir. Parce qu'un client qui va bien, c'est un client qui revient comme on dit chez Courtepaillle (lisez, vous comprendrez).

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