D'aucun parti n'émanant un grand dessein, un projet d'avenir à l'échelle de notre temps, les élections obéissent à la loi marécageuse de l'entropie politique se répartissant entre 49 % et 51 % avec, en général, un léger avantage pour les plus crédibles partisans du
et du maintien de l'ordre ancien puisque les adversaires sont incapables d'en concevoir et d'en proposer un nouveau.
Comment l'électeur pourrait-il faire un choix fondamental alors
que, sur tous les problèmes dont dépend notre avenir - le modèle de
croissance, l'armement nucléaire, l'énergie nucléaire, avec toutes
leurs conséquences mortelles -, tous les partis sont d'accord à
quelques nuances de vocabulaire près ?
La réalité du pouvoir reste donc aux groupes de pression qui
fondent la " croissance économique " sur les secteurs les plus
rentables pour eux : le nucléaire et l'automobile, les seuls qui n'aient
pas été touchés par la crise et qui poursuivent inflexiblement leur
progression. On pourrait dire aujourd'hui, paraphrasant un axiome
du passé : nucléaire et automobile sont les deux mamelles de la
Du nucléaire, nous avons déjà évoqué les méfaits physiques et
politiques. Mais nous pourrions tenir un propos analogue sur l'automobile,
et sur l'ensemble du groupe de pression (le plus fort en
France) qui gravite autour d'elle et oriente la politique économique,
puisque les constructeurs de voitures, les fabricants de pneus, les
promoteurs d'autoroutes, les pétroliers et leurs satellites représentent
près de la moitié du budget de la France.
[...] Tous les partis et le Parlement s'inclinent devant ce contre-pouvoir
réel des groupes de pression du nucléaire et de l'automobile, masqués
en France, comme aux États-Unis, en Allemagne, en Italie et ailleurs,
par le " pouvoir " aussi officiel qu'illusoire des Parlements chargés de
persuader le public qu'en devenant électeur i l devient " souverain ",
alors que les choix vitaux lui sont interdits et que les décisions sont
prises, en dehors de tout contrôle, par la technocratie des groupes de
Il faut que ceci soit clair : aucun parti politique aujourd'hui n'est
capable ni de réaliser un nouveau projet de société échappant à la
"logique" mortelle de la croissance aveugle, ni même de le concevoir et
La politique, au sens vrai et fort du mot, c'est-à-dire la volonté de
créer une société à visage humain, est pourtant en gestation, surtout
depuis 1968, à l'extérieur des partis. Les germes de l'avenir sont là où
de petits groupes d'hommes se rassemblent, se concertent, se fédèrent
pour prendre en main leurs propres affaires sans attendre " d'en
haut ", d'élus ou de chefs auxquels ils auraient délégué leurs pouvoirs,
les décisions concernant leur vie quotidienne comme leur destin.
Déjà, en dehors des institutions officielles, est en train de sourdre la
volonté de vivre autrement.
Au sein même des " foules solidaires " naissent, meurent et se
recréent sans cesse des communautés d'un type nouveau. Des regards
se rencontrent. Des mains se nouent. Des projets sont bâtis en
commun. Ici un puits. Ici un stade ou une garderie d'enfants. Ici une
prière. Ici une coopérative. Ici une école. Ensemble. Et à l'initiative
de ceux " d'en bas " : communautés chrétiennes de l'Amérique latine
à la France, ou communes chinoises, jeunes n'acceptant plus d'être
estropiés par la pédagogie périmée des écoles et des universités, ni par
les idéologies de récupération et d'intégration sournoise au désordre
L'action s'organise pour le respect des équilibres écologiques entre
l'homme et son environnement de terres, d'arbres, de fleuves et de
lacs tués par la pollution, pour la défense des océans, pour la
protection de l'espace contre des satellites espions à équipement
nucléaire dont la chute fait peser sur nos têtes une menace permanente.
La terre, l'eau, le ciel... l'homme est devenu responsable de tous les
éléments. Nous sommes arrivés à ce point crucial de l'épopée humaine
où nous ne survivrons pas par la seule force d'inertie des dérives de
notre siècle : prolongées, elles conduisent toutes au suicide planétaire.
" Changer ou disparaître ! " crie-t-on dans les îles.
Le continent répond : " L'utopie ou la mort ! "
Ceci doit être clair : survivre et vivre dépendent désormais d'un choix
humain et nul ne peut déléguer son pouvoir.
Les germes d'avenir naissent de toutes parts : mouvements pour les
autonomies régionales contre la centralisation dévorante, mouvements
de consommateurs, comités de quartiers pour le contrôle et la
gestion des affaires locales et des organismes élus, mouvement
antinucléaire, dont le référendum autrichien est un bel exemple,
résistance à l'implantation des centrales de la mort, en France, en
Allemagne, mouvement coopératif, action non violente chez les
paysans du Larzac, comme chez les ouvriers de Lip, exigence
autogestionnaire s'imposant même aux directions syndicales qui s'en
défiaient, lutte des OS, en dehors des structures et des méthodes
traditionnelles pour le dépassement de la promotion individuelle des
qualifications et des salaires au profit des qualifications collectives.